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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 18:10

 

« Je peux prévoir le mouvement des corps célestes,

 mais pas la folie des gens. »

Isaac Newton

 

9

 

Attendez-vous à savoir que

les krachs boursiers ne servent pas beaucoup de leçon !

 

Nous avons vu précédemment que l’économie était un phénomène très complexe dont la bourse n’était qu’un outil. Les économistes et les hommes politiques qui les soutenaient ont toujours minimisé les risques. Cependant, l’histoire est jalonnée de krachs boursiers dont les effets économiques et sociaux ont été désastreux. Les krachs boursiers ne sont en effet pas l’apanage de notre économie actuelle. Dans le passé, il y a eu de grands effondrements de systèmes bancaires. En voici une liste assez exhaustive. Nous essayerons d’en chercher les éléments communs à partir des analyses qui en ont été faites par les spécialistes et nous chercherons à voir si des enseignements en ont été tirés et surtout appliqués pour en éviter de nouveaux…

 

Chronologie des krachs boursiers

 

La Tulipomania de 1637

 

Sornette dans son livre consacré aux grands krachs boursiers[1], évoque la première crise financière de l’histoire, celle de la spéculation sur les bulbes de tulipes, la Tulipomania[2], comme l’appela Charles Mackay au XIXe siècle. La crise intervînt le 4 février 1637. La guerre entre les Habsbourg d’Espagne et les Provinces-Unies (Pays-Bas) entraînèrent le blocage du port d’Anvers, ce qui détourna le commerce vers Amsterdam et Rotterdam. Ogier Guislain de Busbecq, Ambassadeur du Saint Empire romain à Istanbul, aurait rapporté de la cour du Sultan Ottoman Soliman le Magnifique, des bulbes de tulipes. Il les confia à des horticulteurs en 1559. Carolus Clusius vulgarisa en Europe cette fleur originaire du Pamir. Une véritable tulipomania s’empara de la Hollande. Les prix des bulbes augmentèrent selon une courbe exponentielle (Fig. 14) atteignant des prix incroyables. Ils se vendirent à l’unité, en échange par exemple, d’un terrain constructible de 12 ares, d’un carrosse et de son équipage, pour le prix de deux maisons, jusqu’à 5.500 et 10.000 guilders (florins)[3] et même atteignirent quatre fois le prix du tableau de « La ronde » de Rembrandt ! Cette folie tulipière s’acheva en février 1637 par un krach. Il aurait été causé par plusieurs facteurs concomitants. En premier, l’achat à terme (achat en hiver, paiement au printemps), mais aussi par l’absence de garanties, l’arrivée de spéculateurs qui élargirent le marché, la création de bourses de commerce où se négociaient les contrats à terme, l’investissement de particuliers non initiés qui ruinèrent le marché par leur manque de compétences. Mais serait aussi en cause, semble-t-il, le pamphlet d’un certain Adriaen Roman qui aurait semé la panique chez les acheteurs. Ceux-ci, de peur de tout perdre, auraient bradé leurs tulipes. Toujours est-il, qu’en trois jours le prix chuta de 95%. La leçon à retenir est que c’est l’intervention de spéculateurs qui a faussé le marché et la perte brutale de la confiance des investisseurs qui s’est transformée en panique.

 

 

Fig. 14. Les variations de l’index du prix des tulipes entre novembre 1636 et le 1er mai 1637 (d’après une compilation de Earl A. Thompson, 2007[4])

 

Le krach de la Compagnie des Mers du Sud de 1720

 

Citons aussi le krach, en septembre 1720, de la Compagnie des Mers du Sud en Angleterre, fondée en 1711 par Robert Harley, le chef du parti Tory, qui avait obtenu le monopole du commerce maritime avec les colonies espagnoles en Amérique du Sud. Ce krach faisait suite à la bulle des Mers du Sud entre 1711 et 1720. Pour obtenir ce monopole, la Compagnie avait accepté d’échanger dix millions de livres en bons du Trésor contre des actions à intérêt de 6%. Mais, les tensions entre l’Angleterre et l’Espagne en 1718 se sont accrues et ont diminué les bénéfices. Malgré tout, la Compagnie espérait faire des profits à long terme. Et, en 1717, elle avait accepté d’échanger encore deux millions de livres de la dette publique contre des titres. Des rumeurs sur les profits potentiels de la Compagnie déclenchèrent une spéculation qui fit monter le cours de l’action régulièrement avec l’aval de personnalités du gouvernement et de la royauté. Mais, d’autres Compagnies se mirent frauduleusement dans le circuit pour exploiter d’autres lignes commerciales, qui ont été rapidement surnommées des « bulles ». Devant le danger, une loi sur les bulles en 1720 fut votée qui imposait l’obtention d’une Charte royale que la Compagnie obtînt facilement pour toute l’Amérique. L’acquisition de cette charte augmenta son attrait et fit monter le cours de l’action à 1 000 livres. Mais, brutalement le cours se renversa et retomba à 150 livres, ce qui causa la faillite de nombreux investisseurs qui avaient acheté à crédit et, par effet domino, les banques prêteuses.

Parmi les personnalités ruinées citons le physicien Isaac Newton, Maître de la monnaie à Londres, qui perdit 20.000 livres et déclara : « Je peux prévoir le mouvement des corps célestes, mais pas la folie des gens. »,  l’écrivain Jonathan Swift qui perdit 1.000 livres et également Daniel Defoe. Il en est résulté le Bubble Act voté par le Parlement en 1720 pour guider les placements vers des investissements moins risqués et redonner confiance aux investisseurs.

 

La crise de 1857

 

En 1857, aux Etats-Unis et en France, eu lieu une grande crise financière qui fut étudiée en 1872 par Karl Marx[5] en Angleterre. Une panique s’est emparée de Wall Street[6], le 22 août 1857 comme conséquence de la faillite de la banque Ohio Life and Insurance Company. En fait, depuis 1856, on avait observé un ralentissement dans l’expansion du réseau ferroviaire de 20 à 30%; ce qui avait entraîné une perte de confiance dans les compagnies de chemin de fer avec pour conséquence une baisse dans l’exploitation métallurgique. Cette panique populaire fut assez courte, mais n’empêcha pas d’avoir de conséquences économiques désastreuses avec une hausse du chômage (2/3 des ouvriers des Etats manufacturiers du Nord). De nombreux chômeurs s’engagèrent dans la fameuse ruée vers l’or en 1858 et 1859, du Colorado à la Colombie britannique et au Montana.

En Europe, la crise intervînt pour d’autres motifs, celui d’une surproduction résultant de bonnes récoltes qui ont fait chuter le prix du blé stocké en plus grands tonnages afin de maintenir les prix assez élevés. L’Europe était devenue autosuffisante privant les producteurs et exportateurs de débouchés. Les exportateurs se reportèrent sur l’or et la bourse connut une forte baisse de 27% entre juin et le 20 novembre 1857 qui entraîna une récession économique. Ce fut le début de la crise économique du Second Empire avec un chômage accru de 7%, malgré des mesures salutaires prises par Napoléon III, en doublant notamment le capital social de la Banque de France[7].

Vers 1865 apparurent des crises économiques d’un type nouveau résultant de la structure libérale de la société, née de la révolution industrielle anglaise.

 

Le krach des bourses viennoise et berlinoise de 1873

 

L’Unification allemande de 1871 eut comme conséquence un grand développement économique et l’instauration de la concurrence qui entraînèrent la baisse des actions en juillet 1873. Comme une banque de Budapest, puis celles de Vienne, ne purent faire face à leurs remboursements, les épargnants perdirent la confiance et retirèrent leurs actifs, ce qui entraîna une crise qui se propagea à Berlin, dans le reste de l’Europe et même jusqu’aux Etats-Unis. La crise financière se transforma ensuite en crise économique.

 

Le krach de l’Union Générale de Lyon en 1882

 

Ce krach concerne une banque française catholique et monarchique soutenue par le prétendant au trône de France, le comte de Chambord, et le cardinal Jacobini, secrétaire du pape. Forte de ses succès, elle fit des achats risqués en Europe centrale, comme les chemins de fer de Serbie et des sociétés d’assurance. Elle créa la Société lyonnaise des eaux et investit en Afrique du Nord et en Egypte. Spéculant à la bourse sur les valeurs surcapitalisées, elle fût en lutte politico-religio-financière avec la banque Rothschild jusqu’en janvier 1882 où intervient son krach[8]. Elle entraîna misères, chômage  et conflits sociaux dont les plus célèbres sont ceux des grandes grèves des mineurs d’Anzin et de Decazeville en 1884 dont Emile Zola s’est inspiré pour son roman Germinal[9], tandis qu’il a retracé l’histoire de l’Union Générale dans son autre roman L’argent[10] situé sous le Second Empire. L’Union Générale a été considérée comme assassinée par la banque Rothschild et c’est pourquoi ce krach entretînt l’antisémitisme de l’extrême droite française.

 

La panique bancaire américaine de 1907

 

Une panique des banquiers américains éclata en octobre 1907, suite à la perte de confiance des investisseurs new-yorkais, qui retirèrent leur fonds des banques et entraînèrent la chute de la société fiduciaire Knickerbocker Trust. Ce krach se répercuta à travers tout le pays. Les banques furent sauvées par le financier J.P. Morgan qui, avec d’autres banquiers, injectèrent leurs fonds propres. Cette crise aboutit à la création de la Réserve fédérale des Etats Unis, chargée de réinjecter des liquidités en cas de problème majeur.

 

Le Jeudi noir de Wall Street en 1929

 

La plus connue des crises, restée dans toutes les mémoires, est le grand krach de Wall Street entre le jeudi noir du 24 octobre et le mardi noir 29 octobre 1929 où la bourse a perdu 25%, chute qui va se poursuivre jusqu’en 1932 où elle a perdu 89%. Considérée comme la plus grande crise économique du XXe siècle, elle entraîna dès 1931 La grande dépression qui mit 13 millions d’américains au chômage et 25% de la population allemande. Un résultat qui servit de terrain aux thèses nationalistes fascistes en Allemagne et entraînera en partie la Seconde Guerre mondiale.

Quelles sont les causes de ce krach ? Il est dû à une bulle spéculative qui a commencé en 1926 avec l’autorisation d’ouvrir à Wall Street un nouveau système d’achat d’actions à crédit, même avec une couverture financière de seulement 10% ! De ce fait les cours de la bourse doublent entre 1926 et 1929 et la spéculation devient totalement irrationnelle dès 1927, malgré l’effort de la FED de réduire ses taux d’escompte. L’Amérique produisant toujours plus, bien plus que la demande, cette surproduction a comme conséquence des diminutions de bénéfices qui entraînent les investisseurs à revendre leurs actions. La reprise eut lieu à partir de 1933, mais avec une rechute en 1937. L’entrée en guerre marqua la fin de la crise, mais il fallut attendre 1954 pour que la Bourse retrouve son niveau de 1928.

 

Le krach de 1987

 

Rappelons le krach spectaculaire de Wall Street et des autres banques du monde du 19 octobre 1987, qui causa une perte brutale de l’indice Dow Jones Industrial Average (DJIA) de la Bourse de New York de 22,6 %. Plusieurs centaines de milliards de dollars disparurent en quelques heures et des milliers d’investisseurs furent ruinés… Cette crise a été fort bien analysée. On sait qu’elle résulte d’un excès de crédit qui entraîne une hausse de l’indice Dow Jones de 43,6% en 9 mois. Or le lundi 19 octobre, la bourse perd 22,8% à cause de deux statistiques annoncées, un déficit commercial US inattendu prouvant que les Etats-Unis vivaient bien au-dessus de leurs moyens et un relèvement du taux d’intérêt de la Banque allemande (Bundesbank) pour éviter la surchauffe. C’est alors la panique qui s’enclenche et le krach brutal.

 

Le krach russe de 1990

 

Lors de la révolution russe de 1990, en l’absence de bourses, les avoirs des salariés russes à la Caisse nationale d’épargne (Sberbank), étaient énormes. En l’absence de produits à acheter dans les magasins vides, il se produisit une bulle de la quantité de roubles disponibles, qui au moment du passage à l‘économie de marché se sont révélés pratiquement sans valeur, d’où le krach.

 

Le krach immobilier parisien de 1991

 

Alors que les prix des logements en France avaient fait preuve d’une bonne stabilité par rapport aux revenus par ménage depuis 1965, la région parisienne et la Côte d’Azur firent exception en 1988, atteignant des valeurs de plus de 50% au-dessus de la tendance nationale. Entretenu par les marchands de biens, ce boom, sans aucune relation avec la croissance économique, fut suivi d’une correction majeure, où les prix baissèrent brutalement de 30 à 40% jusqu’en 1997 ; c’est le krach immobilier de 1991.

Une nouvelle bulle spéculative sur l’immobilier a eu lieu entre 1997 et 2007 atteignant en 2011, un niveau supérieur de 70% à la tendance historique par rapport au revenu par ménage. Les prix de l’immobilier en février 2010 étaient selon Natixisau moins surestimés de 10 à 15%. Les spécialistes envisagent deux possibilités, soit une baisse de 35% en 5 à 8 ans, soit une stagnation des prix pendant 15 à 20 ans. En outre, l’endettement des Français s’est accru passant de 50% du revenu disponible en 1998 à plus de 70% actuellement, ce qui est très risqué.

 

Le krach asiatique de 1998

 

Une crise économique du Sud-est asiatique a commencé dès juillet 1997. Elle s’est propagée aux pays en voie d’émergence, Russie, Argentine et Brésil. Un surendettement, un déficit de la balance des paiements et des dettes extérieures énormes ont entraîné une crise monétaire qui s’est transmise très rapidement après la chute du baht thaïlandais, avec une dépréciation touchant toutes les monnaies asiatiques. Par exemple, la monnaie de Taïwan a perdu 45% de sa valeur en trois semaines. La Corée du Sud a subi une perte de compétitivité, mais a surmonté sa crise grâce à l’investissement de l’étranger et d’un prêt du FMI. Hong-Kong liée au dollar américain n’a pas dévalué. La Chine et le Vietnam n’ont pas été touchés par cette crise, en partie parce que la Chine avait dévalué sa monnaie fortement en 1994.

Les conséquences de cette crise ont été dramatiques, puisque 24 millions de personnes se sont retrouvées au chômage et que 20 millions se sont retrouvées pauvres, entraînant une hausse considérable de la prostitution infantile en Thaïlande. Cette crise se traduisit par une aggravation des inégalités, par des émeutes, des pillages et des suicides et par le rachat des entreprises publiques par le privé, ce qui correspond à la stratégie du choc de Friedman[11].

 

L’e-krach de 2000

 

Après l’euphorie des années 1995-2000, le e-krach de mars 2000 a résulté d’une bulle spéculative sur les valeurs technologiques de l’informatique et des télécommunications. Par exemple l’introduction de Netscapeen bourse, a fait monter l’indice NASDAQ de 1.000 à plus de 5.000 points en 5 ans. L’engouement a été tel que les grandes compagnies multinationales ont acheté des Start up[12] à des prix beaucoup trop élevés, car très surévalués. L’arrivée des  investisseurs et des capitaux a fabriqué une bulle qui a gonflé de plus en plus jusqu’au moment où les cours ss sont effondrés brutalement. Ces achats étaient accompagnés de distributions de stock-options qui encourageaient la création de nouvelles Start up et ont fait apparaître de nouveaux riches. La bulle éclate le 13 mars 2000, où le NASDAQ a perdu 10% en une journée. Les effets s’étendent jusqu’en 2003 à toutes les bourses du monde, faisant perdre à 4.300 entreprises tous les profits engrangés depuis 1995. Elles ont perdu plusieurs dizaines de milliards de dollars. Cela a entraîné des faillites, du chômage et a surtout incité certains PDG à surévaluer leurs résultats (scandales ENRON, WORLDCOMet de bien d’autres entreprises y compris de certaines sociétés françaises !). ENRON, l’une des plus grosses entreprises américaines de la bourse a un vaste domaine d’activités s’étendant du gaz à l’électricité. Le 2 décembre 2001, son action tombe à 1$ et 20.000 salariés sont mis au chômage et des milliers de petits épargnants sont ruinés. ENRON fit faillite parce qu’elle avait spéculé sur le marché de l’électricité et que ses pertes avaient été maquillées en bénéfices, grâce à la création de 3.000 sociétés offshores (îles Caïmans, Bermudes, Bahamas) et à l’utilisation de publicités mensongères annonçant une progression de l’action de 800%. Quant à WORLCOM, en 2002, elle avait déclaré 11 milliards de dollars de revenus fictifs, ce qui a conduit la société à la faillite avec 41 milliards de dettes et en 2005, son ancien président Bernard Ebbers en prison pour 25 ans…

 

 

La crise des sub-primes de l’immobilier américain en automne 2008

 

Il faut enfin ajouter la fameuse crise des subprimes (subprime mortgage) aux USA qui a eu, et aura encore pour de nombreuses années, des conséquences mondiales. Ce krach dû aux principes du crédit américain de l’immobilier a commencé le vendredi 10 août 2007, Les Américains ont en effet la possibilité d’emprunter plus que leurs revenus disponibles, donc plus qu’ils ne peuvent rembourser à des taux variables, faibles au début, mais qui peuvent augmenter de façon drastique.  La situation est très différente en France car les emprunts sont limités par le remboursement qui ne peut en principe pas dépasser 30% du traitement. Ce système est compensé aux USA par l’hypothèque sur l’achat, en fait des prêts hypothécaires à risques. Ce que Joseph Stiglitz[13] appelle des crédits menteursconsentis aux emprunteurs par les banques sur des dossiers du montant de leurs revenus falsifiés, quand ce ne sont pas les banques elles-mêmes qui les ont fabriqués ; ce qui engage hautement leur responsabilité. Par exemple, si l’emprunteur ne peut rembourser le crédit de sa maison, la banque saisit la maison et la revend, faisant double bénéfice, sur le prêt et sur la plus-value acquise par la maison pendant les années du prêt. C’est le système des sub-primes qui n’existe fort heureusement pas en France. C’est ainsi que plus de 3 millions d’Américains se sont trouvés ruinés. En effet, les banques n’avaient pas toujours suffisamment d’argent pour subventionner ce prêt. Aussi ont-elles à leur tour emprunté, d’une part à un taux plus faible que celui qu’elles proposaient à leurs clients, auprès de ce que l’on appelle un refinanceur (généralement une autre banque) et d’autre part, elles ont titrisé de façon complexe, des milliers de contrats de prêts qu’elles ont revendus à d’autres banques, qui les ont achetés car ils rapportaient des taux supérieurs à la moyenne et ne présentaient apparemment pas de risques majeurs, compte tenu des volumes incriminés. Mais, lorsque la banque doit rembourser le refinanceur, il arrive que la vente de la maison ne suffise pas car, en raison du grand nombre de maisons en vente, les prix de l’immobilier ont chuté. Les marchés ont alors baissé fortement et les banques qui ont acheté des titres ont été obligées d’assumer ces pertes sur leurs réserves. Ce qui a pour effet d’affecter tout le système financier à travers le monde, car de nombreuses banques ont acheté des titres, espérant faire d’excellents bénéfices, mais auraient coulé si les Etats ne les avaient pas subventionnées. Il faut dire qu’Alan Greenspan, président de la Réserve fédérale américaine, avait tout fait pour décourager l’épargne en optant pour une politique de taux bas pour favoriser les achats à crédit, notamment des logements.

Le marché avait montré des signes évidents de faiblesse dès le mois de février, avec un recul des prix de l’immobilier et les avertissements d’Alan Greenspan qui avait perçu les dangers de sa politique. Le 15 décembre, on annonce la faillite de la banque Lehman Brothers qui entraîne dans sa chute toutes les bourses du monde. Après des tergiversations du Plan Henry Paulson de sauvetage des banques (700 milliards de dollars en prenant une prise de capital), notamment du leader de l’assurance AIG(American International Group) et une remontée provisoire des bourses (+ 9,27% à Paris le 27 septembre), le vrai krach commença le 6 octobre, un lundi noir, avec des chutes énormes des bourses, en une semaine, -21% du Dow Jones à New York, -22% pour le CAC 40 en France et -24% du Nikkei à Tokyo. En fin de compte, les banques d’investissements qui spéculent en bourse ont été renflouées aux frais des contribuables, à la hauteur de 180 milliards de dollars !

 

Une gestion mondiale à coup de déficits publics qui aboutit au krach d’août 2011…

 

La dette américaine

Cette évolution qui a été mise en évidence par les dernières crises, est la conséquence du fait que depuis des années, les pays occidentaux et en premier les Etats-Unis, vivent au-dessus de leurs moyens. Ils ont emprunté aux banques à des taux faibles qui leur assuraient des bénéfices garantis sur de nombreuses années. La dette abyssale des USA s’élevait le 2 août 2011 à 14.300 milliards de dollars. Cette dette a commencé en 1982 avec Reagan qui, pour développer ses moyens de défense de la guerre des étoiles et la réduction des impôts des plus riches a fait monter le déficit de 1.000 milliards de dollars. Le déficit s’est ensuite accentué entre 1989-1993, avec la première guerre du Golfe de Georges Bush jusqu’à 4.000 milliards de $, puis entre 1993-2001 il a plafonné à 5.000 milliards de $ à cause des intérêts des déficits précédents. De 2001 à 2009, les réductions d’impôts, les guerres en Afghanistan (2001) et Irak (2003) et la récession de 2008 ont fait monter ce déficit à 10.000 milliards de dollars. Enfin, de 2008 à 2011, cette dette a franchi le cap des 15.000 milliards de dollars[14] (99% du PIB) ! (Fig. 15).

Le Président Obama a obtenu de la Chambre et du Congrès, le 2 août 2011, un relèvement du plafond de la dette de 2.100 milliards de dollars en regard d’une réduction massive des dépenses publiques de 900 à 1.000 milliards de dollars, plus 1.500 milliards de dollars encore à négocier. En fait, les Républicains qui ne voulaient pas augmenter les impôts, alors qu’Obama voulait seulement les augmenter de 2%, ont fait traîner les négociations pendant plus de trois semaines et ont obtenu de réduire l’assurance-santé des retraités et des nécessiteux (Medicare) de 4%. Le coup de semonce d’août 2011 aux Etats-Unis a permis d’éviter la faillite immédiate des USA. Mais cela n’a pas empêché l’agence de notation Standard & Poor’s d’abaisser la notation de l’économie américaine de AAA à AA+. Cette dégradation de la notation a entraîné la perte de confiance des investisseurs.

 

 

Fig. 15. La dette publique américaine. Le déficit américain a commencé sous D. Reagan avec sa guerre des étoiles, puis s‘est accentué sous G. Bush avec sa 1ère guerre du Golfe. B. Clinton a poursuivi les dépenses engagées. Avec G.W. Bush, le déficit double avec la guerre en Afghanistan et en Irak, atteignant les 10 000 milliards de dollars. B. Obama accroît encore le déficit pour subventionner son plan de relance, les baisses d’impôts, les effets de la récession, les dépenses de santé et des retraites de l’Etat (Dept. Du Trésor, Bureau of the Public Debt., Banque Fédérale de New York, Office of Management and Budget).

 

Les dettes européennes

 

La perte de confiance envers l’Amérique s’est étendue ensuite aux capacités des Européens de réduire leurs propres déficits et de redresser leurs budgets par des économies drastiques. On peut d’ailleurs se demander si cette attaque contre l’Europe des agences de notation n’ont pas pour but de détourner l’attention des investisseurs vers l’Europe afin de la dégrader, alors que la situation des USA est beaucoup plus grave. Malgré leur dégradation rappelons que les USA empruntent à des taux très faibles. La plupart des pays européens ont vécu aussi au-dessus de leurs moyens, malgré les recommandations de la Commission européenne de ne pas avoir de déficits supérieurs à 3%. Les dettes publiques (Etat, collectivités territoriales, sécurité sociale) ont atteint des sommets. Citons les déficits de quelques pays européens (en milliards d’euros, avec le % du PIB[15]), au 9 novembre 2011, sachant que la dette ne doit pas dépasser 60% du PIB pour ne pas compromettre sa croissance : Allemagne (2079 ; 81,1%) ; France (1706 ; 85%) ; Italie (1900 ; 120%) ; Grèce (350 ; 158%) ; Irlande (114%) ; Portugal (102%) ; Belgique (97%) ; Espagne (68%). Il faut y ajouter la Grande-Bretagne qui est la plus endettée, à l’exception des USA, avec une dette pratiquement identique à celle de la France et qui représente 94,8% du PIB ; mais avec des taux d’emprunts inférieurs à ceux de l’Allemagne !

L’élargissement trop rapide de la zone euro à 17 depuis 1999, et de l’Europe des six en 1957 à 27 pays membres lors du Traité de Nice de 2001, entré en vigueur en février 2003, sans attendre qu’ils aient atteint le même niveau économique et social, ni le même type de gestion financière, n’a pas été une réussite. Rappelons que le critère d’entrée se borne à respecter les critères de Copenhague[16], c’est-à-dire les principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'État de droit. Certains pays qui ont adhéré n’étaient motivés que par l’apport des subventions européennes sans avoir l’état d’esprit communautaire, ni solidaire. En outre, certains pays, comme la Grèce, ont présenté des comptes falsifiés pour entrer dans la zone euro. La possible entrée de 7 nouveaux autres candidats semble prématurée, compte tenu de la conjoncture économique actuelle.

 

La dette de la France et la réforme de la banque de France de 1973. La dette de la France qui était en 1978 de 72,8 milliards d’euros (21, 2% du PIB) passera donc en 2011, selon les prévisions de l’INSEE, à environ 1800 milliards, soit 84,5% du PIB[17] (Fig. 16). On doit tout d’abord se poser la question de savoir d’où vient cette dette ? On dit que les Etats ont vécu et vivent au-dessus de leurs moyens. C’est vrai, mais ce n’est pas la cause majeure. En effet pour dépenser, il faut disposer de recettes. Or les dépenses publiques ont baisé entre 1996 et 2011, mais ce sont les recettes qui ont baissé, en grande partie à cause des allègements d’impôts accordés aux grandes sociétés (réduction de l’impôt sur les sociétés de 50 à 34,43%) et aux plus grandes fortunes avec en plus les 486 niches fiscales. Autrement dit, ce sont des pertes de recettes non compensées qui accroissent la dette avec les intérêts. Quelques données ne sont pas sans intérêt.

La dette a commencé sous Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre, s’est accentuée sous le président François Mitterrand avec successivement Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Jacques Chirac, Michel Roccard, Edith Cresson, Pierre Beregovoy comme premiers ministres, les deux derniers ayant fait croître fortement cette dette. Mais c’est sous le gouvernement de Balladur qu’elle a poursuivi sa forte grimpée, un peu atténuée avec Alain Juppé. Le premier qui a réussi à faire baisser la dette est Lionel Jospin, puis la dette est remontée avec Jean-Pierre Raffarin sous la présidence de Jacques Chirac. Il faut remarquer que Dominique de Villepin a fait baisser le déficit et l’a stabilisé, mais la dette s’est ré-envolée avec l’élection de Nicolas Sarkosy jusqu’à atteindre 1692,7 milliards en juin 2011 (données INSEE), soit une progression de 504 milliards d’euros (+30%) !

Aujourd’hui le service de la dette française est devenu le premier poste budgétaire devant l’Education et la Défense avec 46,9 milliards. Chaque seconde la dette augmente de 5.500 € et par jour l’Etat doit emprunter 130 millions d’euros pour payer simplement les intérêts. Il faut dire que l’Etat ne peut plus emprunter auprès de la Banque de France, dont le capital appartient pourtant à l’Etat, comme cela se faisait avant le 3 janvier 1973[18], date à laquelle la Banque de France a perdu l’autorisation de prêter à l’Etat, sous le prétexte de crainte de l‘inflation résultant de l’émission de monnaie (art. 25. Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l'escompte de la Banque de France). Cette loi, promulguée par Georges Pompidou, interdit donc à la France d’emprunter à la banque de France (sans intérêt) et lui impose d’emprunter chez les banques privées à des taux d’intérêts plus élevés ! C’est un ‘véritable endettement volontaire’ auprès des banques privées. Cela veut dire que Georges Pompidou, au service de la banque Rothschild de 1959 à 1962, puis Directeur général de cette banque de 1953 à 1958 tout en étant d’ailleurs au Conseil constitutionnel (conflit d’intérêt ?), a fait un superbe cadeau aux banques ; un modèle qui a été vite suivi par les autres Etats européens. La France s’est enlevé un moyen de gérer une partie de sa dette à moindre coût. Cette loi est l’une des plus destructrices de la France, car c’est elle qui est responsable de la somme astronomique atteinte par la dette actuelle essentiellement due aux intérêts. Et qui en bénéficie ? les banques prêteuses qui s’enrichissent sur le dos de la nation. Sans ces intérêts, la dette de la France serait très faible, de l’ordre de 164 milliards d’euros et de 9% du PIB ! Les banques font une véritable perfusion du budget de la France vers leurs caisses…

L’un des problèmes épineux de la situation actuelle réside dans le fait que les banques françaises[19] se sont exposées aux dettes souveraines qu’elles ont achetées, en espérant faire de gros bénéfices (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne), à la hauteur de 41,6 milliards d’euros, dont 30 milliards rien que pour l’Italie ! L’un des leviers utilisés prioritairement par les Etats pour réduire la dette est d’imposer des régimes de rigueur, c’est-à-dire de d’adopter les fameuses mesures du Consensus de Washington dont nous avons vu les effets désastreux avec par exemple les réformes des retraites de plus en plus contraignantes ; ce qui a été fait un peu partout en Europe et en France.

Mais il ne s’attaque pas à la cause, ponctionnant seulement un peu plus les classes populaires (50%) et moyennes (40%) de la population, mais sans affecter les classes aisées (10%) et très aisées (1%)…

 

La dette de la Grèce et du reste de l’Europe. L’Europe est en crise avec en première ligne la Grèce. Pourquoi ? Parce que les plus hauts revenus, par exemple ceux des armateurs, ne payent pas d’impôts car la Constitution interdit leurs vérifications fiscales. Pourquoi la Grèce ne taxe-t-elle pas les 200 milliards d’euros déposés dans les comptes suisses ? En outre l’absence de cadastre en Grèce a permis à plus d’un million de Grecs de construire des maisons superbes sans autorisation avec le résultat que leurs propriétaires ne payent aucun impôt sur ces habitations. De même, l’Eglise orthodoxe, premier propriétaire foncier de la Grèce, ne paye aucun impôt. La chasse aux fraudes fiscales est donc une priorité. Le nouveau gouvernement grec aura-t-il le courage de modifier le système ? Cette gestion peut conduire la Grèce vers la faillite, si elle n’arrive pas à endiguer le problème de sa dette, gigantesque pour elle à cause de la hauteur des intérêts. Car les solutions proposées par le gouvernement pour réduire le budget de façon drastique ont jusqu’ici touché en priorité les plus pauvres, les fonctionnaires et les retraités, ce qui a provoqué les violentes manifestations de 2011… L’Italie, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne ont les mêmes problèmes en attendant nôtre tour[20]

 

 

Fig. 16. Evolution de la dette publique française entre 1878 et 2011 en milliards d’euros et pourcentage du PIB (d’après les données de l’INSEE).

 

Toutes ces causes ont entraîné une défiance des investisseurs habitués à des placements très rémunérateurs qui s’est traduite par un vrai krach boursier qui a fait plonger toutes les bourses européennes. La bourse de Paris est passée du 1er juillet au 10 août 2001, de 4007,35 à 3002,99 points, soit une perte de 1.000 points sur 4.000, c’est-à-dire un plongeon de 25% en un mois ; c’est-à-dire un krach ! Jean Claude Trichet, le Directeur de la Banque européenne,déclarait le 9/8/2011 que c’était la crise la plus grave depuis la seconde guerre mondiale ! Le 22 octobre 2011 il était annoncé qu’un pourcentage de 50 à 60% de la dette grecque passerait à la trappe. Qui payera ? En partie les banques qui devront utiliser leurs bénéfices au lieu de les distribuer aux actionnaires, mais qui seront renflouées en cas de besoin par l’Etat, donc par les contribuables des pays qui ont aidé la Grèce !

De telles gestions irresponsables sous le lobbying des puissances financières expriment leur mainmise sur l’économie et sur la politique, ou tout au moins leur connivence. On en voit l’effet avec le plan de rigueur français du 7 novembre 2011 qui se refuse à taxer les spéculations et les banques, tout comme le G20 l’avait décidé quelques jours plus tôt.

Il est en outre totalement surréaliste que, selon les notations des agences financières, les Etats soient obligés d’emprunter à des taux différents, les écarts mesurant la prime du risque du non remboursement des dettes. Plus la dette est grande, plus les taux d’emprunts sont élevés, ce qui augmente d’autant la dette ; un cercle infernal dont on ne peut pratiquement pas sortir. C’est logique d’un point de vue proprement financier, mais aberrant d’un point de vue solidarité humaine et européenne. En effet pour aider un  pays à sortir de l’ornière où il s’est mis, il lui faudrait obtenir les taux les plus bas, ce qui allégerait la dette et lui permettrait d’ailleurs de rembourser effectivement sa dette sur une durée assez longue. Le 10 novembre 2010, la France paye ses emprunts deux fois plus cher que l’Allemagne, l’Espagne emprunte à plus de 5%, l’Italie à plus de 7%, le Portugal à 6,9%, l’Irlande à 8,5% et la Grèce à 11,8%, alors qu’elle est quasiment ruinée. Dans le jargon financier, l’écart entre les taux d’intérêts versés pour remboursement de leurs dettes entre deux pays, appelé, le ’spread’. Et les taux vont s’envoler avec la baisse des notations jusqu’à un niveau totalement irréaliste, inacceptable. Une politique qui enfonce encore plus, les Etats très fragilisés…

 

Et que fait la Chine dans ce jeu ?

Deng Xiaoping qui a dirigé la Chine à partir de 1978 a réussi une véritable révolution en intégrant les règles capitalistes de l’économie de marché dans l'économie chinoise. Le résultat est là aujourd’hui pour constater qu’il lui a insufflé un dynamisme considérable tout en maintenant son système politiquement dictatorial. Il faut ajouter que la Chine a très habilement adopté de façon unilatérale en 1989 une stratégie de sous-évaluation du Yuan à 0,15 alors qu’il aurait dû valoir 0,25 $. Cette stratégie[21] n’a jamais été contrariée par les Occidentaux depuis l’admission de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) Les pays occidentaux, notamment le Président Clinton, ont accepté l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale pour le commerce (OMC) lors de la Conférence ministérielle de Doha (Qatar) en novembre 2001. Cet accès qui était logique, mais sans lui imposer les règles en vigueur, des conventions de fixation des taux de change équilibrés entre les monnaies. Elle ne respecte pas les mêmes règles industrielles et sociales que l’Occident. L’OMC s est ainsi privé de la possibilité de représailles douanières en cas de dérapage. Cette politique de refus d’adapter sa politique de change, qui la favorise outrageusement, vient de déstabiliser l’Occident en 2011 sur le plan commercial et financier parce qu’elle n’est pas compensée par la croissance du PIB[22] en le conduisant en partie au krach d’août 2011. Elle serait responsable, selon le prix Nobel d’Economie Paul Krigman[23], du chômage de 1,4 millions d’Américains et de millions d’emplois perdus en Europe. Devenue par cette méthode la première exportatrice mondiale elle pourrait, en contrepartie, y perdre sur la part qu’elle possède de la dette américaine qui s’élève à 1.200 milliards de dollars. La décision de sous-évaluer le yuan correspond à la philosophie chinoise. Elle a été au départ une petite modification, qui n’a pas eu d’impact immédiat, mais se concrétise dans la durée, dans la continuation, par les conséquences considérables qu’elle engendre aujourd’hui, le recul des complexes économiques et financiers de l’Occident. Il faut savoir attendre le résultat d’une politique bien réfléchie qui ne nécessite aucun autre effort que celui de la patience ! Autrement dit la philosophie chinoise est une expression caricaturale du déroulement d’un phénomène critique, qui commence par une modification légère d’un paramètre qui se continue sans attirer particulièrement l’attention, jusqu’au moment où il se manifeste brusquement par une rupture qui change complètement la situation…

 

Les krachs boursiers ont-ils servi de leçon ?

 

De nombreux ouvrages sur les krachs boursiers ont été écrits par des spécialistes. Ils montrent que presque toujours les analyses des krachs boursiers et de leurs conséquences financières, sociales et humaines, n’ont généralement pas été prises en compte. Les krachs n’ont pas servi de leçon, puisque le même genre de spéculation est resté autorisé. En outre, ils ont toujours été minimisé par les responsables qui ne veulent absolument pas changer le système si rémunérateur.

L’un des enseignements des krachs est qu’au cours du temps l’ampleur des krachs a changé d’échelle ; une expression de la fractalité du phénomène. Les plus anciens krachs boursiers ont été limités à un pays particulier avec quelques extensions latérales de proximité, mais les krachs ont changé de dimension avec celui de 1929 qui a affecté tout le monde occidental. Ils sont ensuite devenus mondiaux, avec la mondialisation des échanges. Il y a donc une extension spatiale des krachs. En outre, concernant des espaces toujours plus grands, ils ont concerné aussi des sommes de plus en plus gigantesques avec des effets sociaux de plus en plus critiques. La crise de 1929 a aboutit à la montée des nationalismes et à la seconde guerre mondiale, mais elle est la seule, après cette guerre, qui a vraiment servi de leçon financière pour une trentaine d’années et dont les effets ont été très positifs.

 

De la séparation des banques de dépôts et d’investissements en 1933 à leur fusion en 1999

 

Nous avons vu qu’il existait deux types de banques. Il y d’une part les banques de dépôts qui gèrent les épargnes de la population (commercial banking). Il y a d’autre part l’autre les banques d’investissements ou d’affaires (investment banking) qui utilisent cet argent pour faire des investissements, parfois avisés, mais parfois risqués et spéculer.

Pour éviter les effets de la confusion entre ces deux types de banque le Congrès américain avait voté en 1933 le Glass-Steagall Act ou Banking Act. C’est une loi essentielle qui obligeaient les banques à choisir légalement entre la gestion des dépôts et les opérations d’investissements. Son abrogation, le 12 novembre 1999 par le Financial Services Modernization Act, connu aussi sous le nom de Gramm-Leach-Bliley Act Financial Services Modernization, a été décidée pour permettre la constitution de banques universelles, notamment la fusion de Citibank et du Travelers Groupet constituer le gigantesque Citigroup, une entreprise mondiale qui a absorbé ultérieurement de nombreuses autres sociétés. Cette abrogation est l’une des causes majeures des turbulences financières actuelles, le Citygroup ayant perdu dans ce jeu, en 2008 et 2009, plusieurs dizaines de milliards de dollars et a annoncé en décembre 2011 la suppression de 4.200 postes ! Cette disposition a ouvert alors la concurrence entre les banques de dépôt, d’investissement et les compagnies d’assurances.

La crise de 1929 s’est traduite aussi et surtout par les Accords économiques de Bretton Woods.

 

Les Accords de Bretton Woods

 

Cette réunion à Bretton Woods, une petite ville du New Hampshire aux USA, dont les deux principaux protagonistes ont été John Maynard Keynes de la délégation britannique et Harry Dexter du Trésor des Etats-Unis, avait pour mission de constituer une organisation monétaire mondiale pour reconstruire et développer économiquement les pays détruits par la guerre de quarante. Elle a abouti après trois semaines de débats auxquels participaient 730 délégués de 44 nations, y compris un observateur soviétique, à un accord signé le 22 juillet 1944. Il instituait les grandes lignes du système financier international d’après la Seconde guerre mondiale, celle d’une organisation monétaire mondiale.

Cet accord affirmait la primauté du dollar et proposait de créer d’une part, le Fond monétaire international (FMI) parrainé par les USA et d’autre part, la Banque mondiale (BM) constitué de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et l’Association internationale de développement (IDA). Ces organismes ont été complétés en 1955 par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) lors des accords du General Agreement on tarifs and trade (GATT) dans l’Accord de Marrakech, le 1e janvier 1995. Le but de ces trois institutions financières était de ne pas retomber dans les excès qui avaient mené au krach de 1929, mais aussi de contrôler l’économie mondiale et d’assurer la suprématie américaine.

Comme le retour à un étalon-or était impossible, les Etats-Unis ont créé le Gold-Exchange Standard basé sur le seul dollar, ce qui signifiait que toutes les monnaies étaient définies en dollars et que seul le dollar était défini en or, sur la base à l’époque de 35 $ l’once. Mais aucun contrôle n’avait été prévu à Bretton Woods sur la quantité de dollars émise par les Etats-Unis qui étaient censés respecter la valeur réelle de leur monnaie. Le FMI avait pour mission de surveiller les Etats et de les aider en liquidités en cas de crise de change pour éviter les dévaluations.

Or, jusqu’en 1958, les Etats-Unis, n’ont pas fait tourner la planche à dollars. Mais les guerres du Vietnam et la course à l’espace ont coûté si cher, qu’il y a eu une inflation de dollars et également une inflation de la part des Etats qui exportent le plus vers les USA. Ces Etats ont constitué des réserves énormes de dollars donnant lieu à une inflation de leurs propres monnaies. La convertibilité OR du dollar a été abandonnée en 1971, en raison du déséquilibre entre les réserves OR et la masse de dollars en circulation.

C’est ce régime économique, efficace et respecté, qui a servi de structure de fonctionnement pour la période qui va de 1945 à 1975, qualifiée de Trente Glorieuses pour le monde occidental ou « d’âge pas tout à fait d’or » par Reich.

C’est la République fédérale allemande qui a commencé à mettre fin aux Accords de Bretton Woods afin de ne pas subir d’inflation. De nombreux pays ont demandé le remboursement de leurs dollars en or, ce qui avait été implicitement exclu à Bretton Woods. Alors, les USA ne voulant pas perdre leurs réserves d’or, ont suspendu la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971 et supprimé les systèmes de taux d’échanges fixes, en adoptant, en mars 1973, un régime de taux de change flottants vanté par l’Ecole de Chicago de Friedman. Cette décision a marqué la fin réelle des Accords de Bretton Woods. Et le 8 janvier 1976, les Accords de la Jamaïque ont annoncé l’abandon définitif du rôle étalon international d’or, si bien que le cours de l’or n’est plus fixé par les Etats, mais par l’offre et la demande. De ce fait le système monétaire international n’existait plus ! La spéculation de fonds spéculatifs pouvait aller bon train avec la mise en place de produits dérivés complexes complètement déconnectés de l’économie réelle. L’or est devenu la valeur-refuge des spéculateurs en cas de forte baisse de la bourse. Et l’once d’or valait, le 6 septembre 2011, 1.921,15 $, un record absolu depuis 1790[24], avec une progression quasi-exponentielle en 10 ans ! (Fig. 17).

 

Fig. 17. Fluctuations du cours de l’or depuis 1792. Le cours de l’or est resté très stable de 1790 à 1976, date des accords de la Jamaïque où le cours de l’or est désormais fixé par l’offre et la demande. C’est-à-dire que l’or sert de valeur-refuge lorsque la bourse décline. Les krachs boursiers sont si nombreux depuis 2000 que la valeur de l’or n’a pas suivi les rebonds boursiers et n’a pratiquement plus baissé significativement (d’après le site France-Inflation. Com[25]).

 

Le krach des sub-primes dont la crise actuelle est le prolongement, n’a pas fini d’agiter les économies mondiales. Elle aurait dû servir de piqûre de rappel pour remettre sur pied une organisation qui ne replonge pas dans le rouge. La crise aurait dû engager les gouvernements, les entreprises et les banques à se re-réguler. Mais cela n’a pas été le cas et les banques responsables de cette crise ont été renflouées et ont repris de plus belles leurs pratiques scandaleuses de rémunérations et de bonus qui avaient conduit au krach, comme nous l’avons déjà évoqué au chapitre précédent. Cessons là cet inventaire stupéfiant mais sommaire, puisque la plupart des contrats sont secrets.

 

Que retenir de ce chapitre ? En premier que les krachs boursiers sont presque toujours le résultat de bulles financières inconsidérées. On observe aussi au cours du temps un changement d’échelle des krachs. Au départ, ils ne concernaient que des pays particuliers comme la Hollande pour la Tulipomania, ou l’Angleterre pour les Compagnies des mers du Sud. Mais au gré des échanges économiques qui se développaient à l’échelle spatiale, ils ont progressivement pris de l’ampleur, sur des échelles toujours plus grandes, jusqu’à gagner depuis 1929 l’échelle occidentale, puis mondiale avec la mondialisation des années 1970.

Il faut surtout se rendre compte que les krachs boursiers n’ont en général pas servi de leçon aux responsables et que la communauté politique n’en a pas tiré les enseignements nécessaires. La seule exception est celle de 1929 qui, associée à la guerre de 1940, a abouti d’une part au Glass-Steagall Act séparant les banques de dépôts des banques d’investissement et d’autre part aux Accords de Bretton Woods qui ont apporté à l’économie mondiale les fameuses « Trente glorieuses » de 1945 à 1975. La dérégulation du fonctionnement des banques par l’abrogation du Glasse-Steagall Act en 1999 a permis aux banques de mélanger leurs fonctions dépôts et investissements, ce qui a abouti aux multiples krachs des années 2000.

On peut se demander comment l’évolution financière et économique si complexe par les multiples facteurs qui la caractérisent, avec ses bulles et ses krachs successifs, pourrait s’intégrer dans le cadre de l’évolution de phénomènes critiques discutés auparavant ? De deux façons, d’une part par le changement d’échelle spatiale de l’économie devenue la mondialisation et d’autre part parl’accélération des crises boursières de plus en plus rapprochées. Que penser du temps critique évoqué pour l’économie et la démographie ? Il n’est, bien entendu, pas question d’en préciser une date précise qui corresponde à l’évolution maximale d’un système, à sa limite… Il ne s’agit pas de prédictions à la Nostradamus, ni de considérations millénaristes, mais de l’évolution naturelle de phénomènes critiques probabilistes. L’économie et la finance n’étaient pas reconnues pour appartenir à ce type de phénomènes, pas plus d’ailleurs que la démographie ou les tremblements de terre. Les travaux des spécialistes des Ecoles de Sornette et de Nottale l’ont mis en évidence de façon convaincante pour ceux qui, même non spécialistes, examinent avec le recul objectif nécessaire l’évolution des systèmes à grande échelle spatiale (mondialisation) et temporelle (depuis le développement industriel de l’Europe). Mais il faut savoir que cette conception n’est pas partagée par tous les spécialistes pour qui, la contingence du phénomène empêche toute possibilité de prévision. L’avenir dira qui avait raison !

La finance et l’économie peuvent-elles nous mener dans le mur ? Les spécialistes en économie ont analysé la situation actuelle avec un esprit critique objectif et constructif. On sait désormais très bien ce qu’il faut faire pour remédier aux défauts du système. Un large consensus s’est dégagé chez les économistes, exprimé dans les divers livres que j’ai cités. Les différences portent surtout sur les moyens de les mettre en œuvre. Les hommes politiques voudront-ils, sauront-ils reprendre le pouvoir sur les financiers et les entreprises qui défendront leur système supercapitaliste ‘bec et ongles’avec les moyens considérables à leur disposition ?

Dans le dernier chapitre, nous allons réfléchir sur le bilan des deux grands défis qui sont devenus des problèmes très graves de notre société et les solutions qui pourraient être appliquées pour les résoudre



[1] Sornette, D., A. Johansen, A. & J.P. Bouchaud, J.P. 1996. Stock market kraches, precursors and replicas. J. Phys. I France, 6: 167-175.

Sornette, D. 2002. Why Stock markets crach ? Critical Events in Complex Finacial Systems. Princeton University Press.

[2] Dash, M. 2000. La Tulipomania : l’histoire d’une fleur qui valait plus cher qu’un Rembrandt. Paris, Lattès, J.-C.

[3] Le salaire moyen annuel de l’époque était de 150 florins.

[4] Thompson, E.A. 2007. The Tulipomania, Fact or artifact ? Public Choice, 130(1-2) : 99-114.

[5] Marx, K. 1867. Le capital. Critique de l’économie politique. Hambourg, Von Otto Meissner (traduction française de 1872, Paris, Lachâtre, M.)

[6] créée en 1792.

[7] Broder, A. 1993. L’économie française au XIXe siècle. Paris, Ophrys, Synthèse & Histoire.

[8] Bouvier, J. 1960. Le Krach de l’Union générale (1878-1885). Paris, Presses Universitaires de France.

 Verdès-Leroux, J. 1969. Scandale financier et antisémitisme catholique. Le Krach de l’Union Générale. Paris, Le Centurion. ?

[9] Zola, E. 1885. Germinal. Paris, Charpentier et Cie.

[10] Zola, E. 1891. L’argent, Paris, Charpentier et Cie.

[11] Klein, N. 2008. La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre. Paris, Léméac/Actes Sud.

[12] des sociétés de service dans le domaine d’Internet.

[13] Stiglitz, J.E. 2010. Le triomphe de la cupidité. Paris, Les liens qui Libèrent.

[14] Le Figaro.fr. Economie du 17/11/2011.

[15] Rappelons que le Produit Intérieur Brutmesure la production économique annuelle.

[16] Les critères, appelés « critères de Copenhague » définis en décembre 1993 lors du Conseil européen de Copenhague,impliquent qu’un pays candidat doit présenter : des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme, ainsi que le respect des minorités et leur protection ; une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l’intérieur de l’Union et la capacité d'assumer les obligations découlant de la qualité d’État membre, notamment le respect des objectifs politiques, économiques et monétaires.

[17] Site Populaires.fr, 19/09/2011.

[18] Loi n°73-7 du 3/01/1973 sur la Banque de France, ou loi Pompidou-Giscard.-Mesmer Cette loi abrogée par la loi n°93-980 du 4 août 1993, entrée en vigueur le 1er janvier 1994, lui interdit d’accorder des crédits au Trésor Public, ainsi que l’acquisition de titres de leur dette. Signalons que depuis la création de la Banque Centrale Européenne en 1998, la Banque de France dont le rôle est la régulation monétaire et la coopération financière internationale avec le FMI, est passée de la tutelle du Premier Ministre, à celle de la BCE, chargée de diriger la politique monétaire de la zone euro. Mais elle peut prêter à d’autres banques en difficulté. La banque de France indépendante fait partie du Système Européen de banques centrales crée par le Traité de Maastricht pour assurer la stabilité des prix. Elle ne peut en aucun cas recevoir d’instructions du gouvernement.

[19] Les Echos, 10/11/2011

[20] Selon le rapport de l’INSEE, la dette publique de la France à la fin du 1er trimestre 2011 était de 1646,1 milliards d’euros, soit 84,5% du PIB, alors qu’elle ne représentait que 663,5 milliards d’euros à la fin de 1995, et avait atteint 1211,6 milliards d’euros fin 2007 (64,2% du PIB).

[21] Il s’agit effectivement d’une stratégie qui découle de la philosophie chinoise traditionnelle ; ce que François Jullien[21] appelle fort justement « les transformations silencieuses ». De quoi s’agit-il ? Jullien nous cite quelques exemples de « transformations silencieuses » comme le passage de la neige à l’eau, le réchauffement climatique, le passage de la vie à la mort, de l’amour à la haine, de l’essor au déclin… La pensée chinoise, le ‘tao’, la ‘voie’ propose deux termes pour exprimer la transformation silencieuse : ‘modification’ et ‘continuation’. « La modification 'bifurque' et la 'continuation' poursuit, l'une 'innove' et l'autre 'hérite' (p. 31)». Jullien se reporte au cycle des saisons : « La ‘modification’intervient de l’hiver au printemps, ou de l’été à l’automne, quand le froid s’inverse et tend vers le chaud, ou le chaud vers le froid ; la ‘continuation‘, quant à elle se manifeste du printemps à l’été, ou de l’automne à l’hiver quand le chaud devient plus chaud ou le froid devient plus froid ».  Pour les Chinois ce qui change se fait entre des termes contraires, « le ‘yin’ et le ‘yang’, opposés et complémentaires et formant polarité ». Autrement dit « chaque temps prépare son opposé ». Dans le livre intitulé 'Classique du Changement' on affirme « qu'il y a déjà du yin dans le yang et du yang dans le yin ». Ce qui caractérise cette philosophie, c’est que la modification entraîne à long terme la continuation.

[22] Le Monde, 08/08/2011.

[23] AFP/ Whashington, 2010.

[24] Une once d'or (troy ounce) pèse 31,103 grammes.

[25] http://france-inflation.com/cours_de_l_or_historique_et_actuel.php

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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 18:07

 

La richesse dans le monde

 

Selon le rapport sur la richesse mondiale (Global Wealth Management) édité chaque année par Cap Gemini et Merill Lynch et rapporté en 2008 par M.-P. Virard[1], le nombre des ultra-riches était monté à 100.000 possédant à eux seuls, 15.000 milliards de dollars !

Le rapport de l’Institut de recherche du Crédit Suisse sur la richesse dans le monde[2] est une analyse portant sur l’ensemble de la population adulte du monde, c’est-à-dire 4,5 milliards d’individus. Il précise en 2011 que, malgré la crise, la richesse mondiale avait augmenté de plus de 67%, de 117 billions de dollars entre 2000 et 2011. D’après ce rapport, la Chine devrait devenir le deuxième pays le plus riche du monde à la place du Japon en 2016, derrière les USA. En 2011, les pays les plus riches possédant une fortune moyenne supérieure à 100.000 dollars par adulte se trouvaient en Amérique du Nord, en Europe occidentale, en Asie Pacifique et au Moyen-Orient. Mais ils sont tous surclassés par la Suisse, le seul pays au monde où la fortune par individu dépasse le seuil des 500.000 dollars ! Parmi les 300 personnes les plus riches de Suisse comprenant 140 milliardaires figurent le Suédois Ingvar Kamprad, le fondateur d’Ikéa avec 28,5 milliards d’euros, les dirigeants du groupe Glencore (négoce de matières premières) et bien d’autres… Pour sauver le secret bancaire et ne pas échanger d’informations fiscales, le ‘lobby bancaire suisse’ a institué en 2009/2010, un accord fiscal dénommé ’Rubik’[3] qui lui permet de lever une faible taxation des ressortissants étrangers, mais sans révéler les sommes en jeu, sans doute sous-évaluées et donc sans aucun contrôle, d’autant plus que ces fortunes sont gérées par des trusts aux îles Caïman ou des société écran à Panama[4]

Selon Martin Hirsch[5], les très hauts salaires concernent en France 133.000 personnes et les hauts salaires des 10% les mieux rémunérés, rassemblent 1,3 million de personnes. Hirsch a été très surpris de constater qu’en 2009, un an après la crise des subprimes, au moment où l’Etat renflouait les banques en demandant la modération de l’envolée des salaires et bonus, leur augmentation avait atteint 44,5% ! Ce rapport Hirsch montre aussi, contrairement aux affirmations des conseils d’administration, que l’analyse des performances des 100 entreprises du CAC 40, prouve que plus le patron se rémunère, moins il crée de richesse ; cela met à bas l’argument de la compétence recherchée qui se paye très cher et celui que les créateurs d’innovations entraînant la richesse ne volent pas la société ! En outre il montre que « les 10% des salaires les plus élevés ont capté les trois quarts de la richesse au cours des 20 dernières années »… 

En ce qui concerne notre pays, que penser aussi du manque de civisme de ces 1.300 ou 2.000 Français[6], qui sont domiciliés en Suisse[7] pour profiter du forfait fiscal, ou dans les paradis fiscaux limitrophes pour payer moins d’impôts (Belgique, Luxembourg, Grande Bretagne, Monaco, Jersey), refusant ainsi en temps de crise grave, de participer à l’effort de solidarité nationale que représentent les impôts sur les revenus. Au total, ils auraient fait perdre à la France entre 6 et 8 milliards d’euros[8]… Ce qui ne les empêche pas, en cas de besoin, de venir se faire soigner gracieusement en France dans les hôpitaux.

Parmi ces exilés, ou expatriés fiscaux, citons de façon non exhaustive quelques grands industriels français domiciliés en Suisse.

- Suisse : C. Arpels (joaillerie), T. Bata (chaussures Bata) ; J. Baud (Franprix, Leaderprice), M. Bleustein Blanchet (Publicis), C. Bouygues, F. Dalle (ex. L’Oréal), P. Dubrulle (Accor), Ducros (épices, Fauchon), D. Fremont (ex. Photoshop), D. Hechter (ex. prêt-à-porter), P. Hersant (Presse), S. Kampf (Cap Gemini), J.-M. Lacoste, Pigozzi (Simca), B. Moineville (Numéricable), C. Picard (Justin Bridoux, Buffalo Grill), D. Pinault (distribution, luxe), M. Reybier (Hôtellerie, restauration), Zaccharias (Vinci), Zannier (textile, Kookaï).

- Belgique : L. Belhassine (Air Liberté), B. Darty, Mulliez (Auchan, Decathlon, Kiabi), Tajan (commissaire priseur).

- Grande Bretagne : E. Guerlain et à Monaco : A. Ducasse.

Citons aussi quelques vedettes du show-business : I. Adjani, C. Aznavour, A. Delon (nationalité suisse), J. Halliday, D. Halliday, P. Kaas, M. Laforêt (nationalité suisse), M. Legrand ; en Belgique : D. Auteuil, E. Béart qui vient défendre ‘les sans papiers’, J. Garcia ; en Grande Bretagne : L. Casta ; aux USA : M. Polnareff et F. Pagny en Argentine ainsi que quelques écrivains : M. Houellebecq en Espagne, C. Jacq en  Suisse, et M. Levy en Grande-Bretagne.

Il ne faut pas oublier les vedettes du sport résidant en Suisse : A. Prost, J. Alési, M. Bartoli,  F. Alonso, S. Loeb, A. Boetsch, L. Jalabert, S. Peterhansel, H. Leconte, G. Forget, R. Gasquet, J.-C. Killy, G. Montfils, A. Mauresmo, C. Pioline, F. Santoro, J.-W. Tsonga, L. Hamilton, M. Schumacher, R. Virenque et Y. Noah qui vit aux USA. Mais certains sont revenus comme Afflelou, J.-L. David et P. Djian.

Il y avait en novembre 2011, 44 grandes fortunes françaises exilées en Suisse (contre 17 en 2002), pour un patrimoine d’environ 36,5 milliards de francs suisses, soit 30 milliards d’euros (tableau 2).

 

FAMILLES

ESTIMATION DE LA FORTUNE en millions de francs suisses

A. et G. Wertheimer (Chanel)

4.000 à 5.000

Castel (vins, eaux Cristalline, Saint-Yorre)

4.000 à 5.000

Primat (héritiers de Schlumberger, industrie)

2.000 à 3.000

Benjamin de Rothschild

2.000 à 3.000

Eric Peugeot (Automobile)

1.5000 à 2.000

Lescure (SEB)

1.500 à 2.0000

Bich (groupe Bic)

1.500 à 2.0000

Mimran (Grands Moulins d’Afrique)

1.500 à 2.0000

Héritiers de Robert Louis-Dreyfuss

(matières premières agricoles et énergétiques, téléphonie)

1.000 à 1.500

Claude Berda (société de production)

1.000 à 1.500

Paul-Georges Despature (Damart)

1.000 à 1.500

Murray (Andrews Skypes Group,

London Security, hôtels suisses)

1.000 à 1.500

Nicolas Puech (désolidarisé d’Hermès)

1.000 à 1.500

Defforey et Fournier (Carrefour)

800 à 900

Zorbibe (ex. Lancel)

500 à 600

Roger Zanier (confection enfants)

500 à 600

Jacques Lejeune (ex. Alicel, production et distribution de papier)

400 à 500

P. Jabre (banque et finance)

400 à 500

G. et R. Harari

(ex. labo. Negma)

400 à 500

Taittinger (Hôtellerie et Baccarat)

400 à 500

Alexandra Pereyre de Nonancourt

(champagne Laurent-Perrier)

300 à 400

Denis Dumont (produits Grand Frais)

300 à 400

Michel Lacoste (confection)

300 à 400

Georges Cohen (informatique et armement)

300 à 400

Nicole Bru (ex. UPS, pharmacie)

200 à 300

Tableau 2. Palmarès des 44 familles françaises les plus riches exilées en Suisse[9], possédant un patrimoine d’au moins 100 millions de francs suisses, sachant qu’1€ =1,2280 franc suisse au 30/11/2011 (d’après le rapport 2011 de l’Institut de recherche du Crédit Suisse).

 

Pourquoi ces enrichissements indécents de l’oligarchie ? Tout d’abord par le goût du profit personnel, par cupidité, qui va de pair avec la disparition de la moralité et du sens de la solidarité. Pour être plus heureux ? Même pas, car Richard A. Easterlin[10] a montré que le bonheur n’allait pas de pair avec l’accumulation de la richesse dont l’effet s’avère finalement très éphémère. Mais elle permet aux plus riches d’assouvir leurs dépendances à la course effrénée à la consommation et de réaliser leurs rêves d’enfants, en s’achetant bateaux, avions, appartements, villas, voitures de luxe, tableaux de collections, bijoux et en menant une vie de plaisir dans un luxe illimité, etc…. N’ayant pas la  possibilité de tout dépenser, ils placent leur argent sur les marchés financiers et spéculent. La vie leur procure aussi la jouissance d’avoir mieux réussie que les autres. Mais ce qui rend vraiment heureux, c’est la possibilité d’une amélioration, l’espoir d’une croissance pour améliorer sa condition, plus que la richesse ou la quantité de biens. C’est surtout la qualité de la vie, le bien-être affectif, psychique et moral et l’amitié, comme l’écrivent fort justement Hessel et Morin[11].

 

La pauvreté dans le monde

 

L’accentuation des inégalités dues au système néolibéral supercapitaliste laisse en regard du 1% de l’oligarchie richissime mondiale, la misère de millions de personnes. On a déjà vu les effets désastreux de l’application du Consensus de Washington par la Banque mondiale et le FMI. En 2009, selon l’ONU, plus d’un milliard d’hommes vivaient avec moins de 1$ par jour et 60 à 80 millions de personnes vivaient dans une condition de quasi-esclavage. Par exemple, est-il normal que dans un pays comme les Etats-Unis, symbole de la réussite et du progrès, 46 millions d’Américains ne puissent vivre que grâce au recours aux tickets alimentaires ! C’est pourquoi aussi le Parlement européen veut instituer un revenu minimum pour les 116 millions d’européens (20%) menacés de pauvreté, sachant que 42 millions (8%) étaient dans un grand dénuement. Ce bilan effroyable est l’une des conséquences dont peut s’enorgueillir le néolibéralisme !

 

Retenons de ce chapitre que le supercapitalisme s’est traduit par une augmentation jamais atteinte des inégalités des rémunérations entre les dirigeants des grandes entreprises et leurs employés, de l’ordre de plus de 1.000 et souvent supérieurs grâce aux stock-options et divers parachutes dorés. Elles sont devenues indécentes. Les grandes entreprises, en particulier les banques ont réussi à obtenir la dérégulation des marchés, sous le prétexte fallacieux que le marché s’autorégulait… Grâce à un lobbying intense, ils ont fait pression sur les hommes politiques pour obtenir des lois favorables. Beaucoup d’hommes politiques ont fait leurs, les objectifs du supercapitalisme sous le prétexte fallacieux et mensonger que le système devait favoriser l’emploi. Un mensonge puisque ce qu’il cherche prioritairement, ce sont exclusivement des bénéfices toujours plus grands en laissant sans scrupules leur parcours jonché de chômeurs à la dérive… Les financiers purent spéculer à outrance avec d’autant plus de sécurité que les gains étaient privatisés, mais que les pertes continuaient à être garanties par l’Etat, autrement dit socialisées par les contribuablescomme le montrent de nombreux exemples. Ce qui est dramatique, c’est que la nouvelle économie financière qui recherche uniquement le profit est complètement déconnectée de l’économie réelle et la mène à sa perte.

Analysons maintenant les résultats de ces spéculations hasardeuses, les krachs boursiers et voyons s’ils ont servi de leçons…

  

1] Virard, M.-P. 2008. La finance mène-t-elle le monde ? Paris, Larousse, coll. À di

 

[2] Global Wealth Reports 2010 et 2011 réalisés par Anthony Shorrocks et Jim Davies et le personnel du «Personal Wealth From a Global Perspective»

[3] Le Post du 27/11/2011. La tribune de Genève du 3/12/2011. L’Allemagne et la Grande-Bretagne y ont souscrit, l’Italie et la Grèce vont le signer ! La France s’y refuse actuellement. Les Echos, 2/12/2011. Il y a un rattrapage de 19% à 34% en fonction de la durée des placements effectués et 26,37% sur les gains de capitaux.

[4] La Tribune, 3/12/2011.

[5] Hirsch, M. La crise profite aux plus favorisés. Interview de S. Arteta, D. Nora & Philippon, T. Le Nouvel Observateurdu 15/12/2011.

[6]  Géopolitiq, Geopolitis du 10/11/2011, Wikipedia, Magazine Bilan 2011, le Journal du Net, Economie.

[7] Beaucoup sont installés à Cologny, une commune huppée de Genève.

[8] Selon l’économiste Jacques Marseille.

[9] Selon le forfait fiscal suisse réservé aux étrangers (environ 3.600), il n’est pas nécessaire de déclarer les revenus et la fortune, sous réserve d’exceptions, mais on ne doit pas y exercer d’activités lucratives. IL est fixé par l’administration au minimum à 5 fois le montant du loyer annuel du logement (Oberson, X . & Sayegh, F. Présentation de l’imposition selon la dépense ou forfait fiscal. Finest Properties. Newsletter, 3)

[10] Easterlin, R.A. 1974. Does Economic Growth Improve the Human Lot ? in : Nations and Households in Economic Growth : Essays in Honor of Moses Abramovitz. David, P.A.& Rezder, M.W., New York Academic Press Inc.

[11] Hessel, S. & Morin, E. 2011. Le Chemin de l’espérance. Paris, Fayard.

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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 18:00

  suite : 8 part 2


Les revenus indécents du supercapitalisme

 

Cette libéralisation du marché s’est accompagnée dès les années 70 par une augmentation exceptionnelle des rémunérations des dirigeants d’entreprises. Elle s’est soldée aussi par un recul du rôle des syndicatsdont les négociations ne pouvaient plus déboucher que sur des réductions de salaires nécessaires pour permettre de réduire les prix aux consommateurs et faire monter les bénéfices des investisseurs…

 

Les rémunérations des dirigeants d’entreprises 

 

Les salaires des PDG des grandes entreprises dépendent de la nature de la société (tête de groupe ou filiale), de sa taille et du secteur d’activité.

Les superpatrons du « tout pour nous, rien pour les autres » ont fait appliquer cette maxime à leurs propres émoluments, comme l’ont montré Thomas Piketty et Emmanuel Saez[1]. Alors qu’en 1980, aux USA, le 1% des contribuables les plus importants recevaient 8% du revenu national, en 2004 cette proportion était passée à 16%. De même les 0,1% des plus riches ont triplé leurs revenus depuis 1980, alors que dans le même temps les revenus de la classe moyenne stagnaient, progressaient peu ou reculaient. Le supercapitalisme profite donc à un nombre de plus en plus restreint d’individus, une oligarchie dorée qui fait des profits de plus en plus colossaux !

Les recherches de Lucien Bebchuck et de Yaniv Grinstein ont montré en 2005[2], d’après l’analyse des feuilles d’impôts que, sur les 83 millions de dollars déclarés par les 0,1% des plus riches contribuables américains, plus de 50% de la somme se rapportait au revenu de seulement 5 présidents de grande entreprises américaines ! Les revenus des cadres s’élevaient en moyenne à 6,4 millions de dollars, stock-options comprises, mais ceux des PDG s’élevaient à 14,3 millions de dollars. Les 5 principaux PDG de 1500 compagnies du S & P 500 du Mid-Cap 400 et du Small-Cap 600 avaient gagné 350 milliards de dollars entre 1993 et 2003, alors qu’au moment du rapport, ils gagnaient déjà au-delà de 40 milliards de dollars par an, rémunérations basées sur le rendement qui est passé de 41 à 59%. Ainsi leur rémunération annuelle est passée de 9,5 à 20 millions de dollars. La comparaison de ces rémunérations a permis de constater que dans les années 1990, elles correspondaient à seulement 5% des bénéfices, mais que dans les années 2000 elles avaient doublé à 10%. Autrement dit, les PDG gagnaient en 2006 en moyenne huit fois plus de dollars tirés de leurs bénéfices qu’en 1980.

La comparaison des revenus des PDG avec les salaires moyens est encore plus éclairante. Dans les années 1970, les PDG gagnaient environ 25 à 30 fois le salaire d’un salarié moyen. Cette différence est montée à 40 fois dans les années 1980 et à 100 fois plus en 1990, pour atteindre 350 fois en 2001. Comparés aux traitements des ouvriers, les rapports sont encore plus gigantesques. En 1968, un PDG gagnait 66 fois plus que l’ouvrier, mais en 2005, il en gagnait 900 fois plus ! On dépasse à l’heure actuelle les 1000 fois plus ! Jusqu’où ira la surenchère ?

Savez-vous que le PDG de Wal-Mart Stores, la plus grande entreprise américaine multinationale de grande distribution des USA, la seconde du monde en 2009, percevait chaque moitié de mois l’équivalent de ce qu’un salarié moyen gagnait durant sa vie entière ! Une entreprise aussi gigantesque reçoit chaque semaine plus de 176 millions de clients. Son slogan « Economisez plus, vivez mieux » permet manifestement de vivre beaucoup mieux… surtout aux dirigeants.

Cette augmentation exceptionnelle des rémunérations des dirigeants d’entreprises avec une croissance des inégalités des rémunérations est l’une des grandes caractéristiques du supercapitalisme qui reflète bien la mentalité du « Tout pour nous rien pour les autres »

Selon Robert Reich, cette envolée vertigineuse serait due en fait à la concurrence qui existe pour trouver des dirigeants très habiles et très durs pour être les plus efficaces… C’est-à-dire que les dirigeants de banque sont devenus des vedettes de la finance à l’égal de celles du show-biz et des joueurs de football, à cette différence près, cependant capitale, c’est que les bénéfices des gens du show-biz et du football ne font pas fermer des usines, ni mettre au chômage des milliers de gens pour gagner plus. En effet, si antérieurement le PDG cherchait à développer l’entreprise sur le long terme pour le bien de tous, employés et consommateurs ; c’est bien fini. Il faut désormais qu’un PDG soit capable de faire fusionner des entreprises, d’assumer la fermeture d’agences et d’usines pour les revendre après en avoir tiré un profit maximal, pour les délocaliser et de laisser plusieurs milliers d’employés au chômage avec des indemnités sociales les plus faibles possibles pour réaliser les plus grosses plus-values. C’est pourquoi les conseils d’administration sont prêts à payer des sommes astronomiques pour engager de tels ‘prédateurs’. Le tableau 1[3] donne le palmarès des salaires des PDG les mieux rémunérés de France, tels des rock stars avec une moyenne de 3,4 millions d’euros/an, auxquels il faut ajouter des primes exceptionnelles, des indemnités de départ en retraite, des stock-options et des parachutes très dorés, avec pour certains des dividendes de leur part au capital, même en cas de mauvaise gestion comme le montre la 4e colonne.

 

Nom

Société

salaire

total en millions d’euros

Plus values

stock-options

en millions d’euros

Note de

Résultat

N/20

Primes

en millions d’euros 

Dassault

Charles B.

8,5

6,5

14,1

6,5 de Stock-options

Dior

Toledano C.

8

1,4

14,1

Prime de 5

Ex-Accor

Pélisson G.

7,5

0

8,5

Parachute de 5 à éviction

Air liquide

Potier B.

6,4

3,7

12,3

  

Danone

Riboud F.

5,2

0,8

9,5

Stock-options

0,8

Eutelsat

Berreta G.

5,2

3,1

15,2

  

Sanofi Aventis

Dehecq J-F.

5,2

0

NP

Indemnité:

3,8

Schneider Elect

Tricoire J.-P.

5

2,6

14,5

 

Michelin

Rollier M.

4,5

0

12,8

 

Nexity

Dinin A.

4,5

2,5

10,3

+ 3,68% capital

= dividendes

de 3,8

GDF Suez

Mestrallet G.

4,3

1,1

7,2

 

Vinci

Huillard X.

4

1,8

9,9

 

LVMH

Arnault B.

3,9

0

16,2

Le mieux côté pour sa gestion

L’Oréal

Agon J.-P.

3,8

0

11,2

400.000 options pour 6,9

Lagardère

Lagardère A.

3,6

0

6,1

 

Sabofi-Aventis

Viehbacher C.

3,6

0

9,8

+ 275.000 options

Publicis

Lévy M.

3,6

0

12,8

+ 3,3 de dividendes

Vivendi

Lévy J.-M.

3,3

0,5

8,4

 

PSA Peugeot Citroën

Varin P.

3,3

0

12,8

 

Sperian

Petit H.-D.

3,2

3,2

8,7

 

Teleperformance

Julien D.

3,1

0

NP

 

Paribas

Prot B.

3,1

0,5

8,2

+

Tableau 1. Palmarès des traitements des grands patrons en France avec leurs performances (note /20)(d’après Bruno Declairieux, Capital, 2011, n°96).

 

Renaud Dély[4] donne des informations complémentaires pour 2010 tiré des rapports annuels des sociétés. Ainsi Carlos Ghosn (Renault) aurait touché 9,6 millions d’euros en 2010…

Il faut savoir aussi que la France est le pays d’Europe qui compte le plus de millionnaires. En effet, l’étude annuelle de la banque helvétique du Crédit Suisse du 19/10/2011 a estimé que la France comptait 2,6 millions de millionnaires en dollars, alors qu’ils ne sont que 1,6 million au Royaume-Uni et seulement de 622.000 en Suisse. Par contre lorsque que l’on comptabilise le nombre de millionnaires possédant plus de 100 millions de dollars, c’est-à-dire 72,3 millions d’euros, ce sont les Allemands et les Anglais qui arrivent en tête.

En outre, il faut y ajouter une très grande exploitation du système par les PDG qui, ici par pure cupidité, font de la surenchère, en faisant inclure dans leurs contrats, avec des clauses de confidentialité et quelques soient leurs résultats, de mirifiques parachutes dorés, des brassées de stock-options sans oublier des retraites-chapeau ! Ces paiements surévalués des PDG, pas toujours mérités d’après leurs résultats, sont d’une injustice totale, sidérants, socialement et moralement insupportables…

Mais, il y a encore mieux ! Selon G. Reich, les traders et les dirigeants des banques d’investissement sont encore mieux payés. Comment ? Tout simplement parce qu’ils perçoivent de très faibles pourcentages sur chaque transaction et comme il y en a des centaines de millions… Il cite en 2006, des bonus de dirigeants de banques d’investissements atteignant de 20 à 25 millions de dollars et des traders recevant des chèques de 40 à 50 millions de dollars. On comprend l’excitation des traders à spéculer à outrance et même sans contrôle, à l’image de Jérôme Kerviel à la Société générale. En 2008, il a engagé une position ouverte de 50 milliards d’euros qui à fait perdre environ 6,4 milliards d’euros, compensés en partie cependant par un gain de 1,5 milliards d’euros ; ce qui fait une perte réelle de 4,85 milliards d’euros[5]. Il a été condamné à trois ans de prison et à rembourser les pertes de 4,9 milliards d’euros ! Par contre la banque qui n’a, selon le rapport du 20 février 2008 de l’Inspection générale de la Société générale, manifestement pas contrôlé suffisamment son trader, a été entièrement dédouanée ! La justice fonctionne à deux niveaux.

Eh bien, attendez vous à lire encore du plus étonnant. Toujours selon Reich, ceux qui encaissent les plus gros bénéfices sont les gérants de Hedge funds[6], c’est-à-dire de fonds dits de couverture. Ici les sommes ne sont plus en millions d’euros ou de dollars, mais en milliards ! Ce sont en fait des fonds à très gros risques, qui spéculent sur le marché pratiquement sans aucune réglementation. En 2009, il y aurait environ 10.000 fonds gérant quelque 1.426 milliards de dollars. Ils sont en général implantés dans les paradis fiscaux. C’est ainsi qu’en 2005, James Simon, de Renaissance technologies, aurait déclaré un revenu de 1,5 milliards de dollars en horaires de management !

 

Les stock-options

 

Aux Etats-Unis, lors de la bulle financière à la fin des années 1990, les rémunérations salariales des dirigeants d’entreprises côtés en bourse augmentaient à des taux moyens de plus de 38%, notamment par le jeu de stock-options. Les stock-options ou options sur titres ou options d’achat d’action sont des droits accordés à des dirigeants, ou à certains managers, d’une entreprise de pouvoir acheter des actions de cette entreprise à un prix et à une date fixés à l’avance, mais avec une décote par rapport au cours de la bourse au moment de l’attribution pour un délai déterminé de 2 à 5 ans. C’est-à-dire que si le possesseur de ces stock-options lève son option, il achète les actions au prix d’exercice fixé et les revend au prix de la bourse, faisant de très confortables plus-values ! Avec ce système, il n’y a aucun risque de perte, car si le prix de l’action était inférieur au cours de la bourse, le possesseur n’exercerait pas son droit d’option. On cite l’exemple de Larry Ellison, le PDG de la société de logiciels d’Oracle Corporation, qui emploie plus de 40.000 personnes, qui profita de 701 millions de dollars dans l’exercice de ses stock-options. Il détenait en 2004, 1,3 milliard d’actions de sa société. Pour remédier à ces bénéfices excessifs et surtout aux scandales d’Enron et Worldcom, dont nous avons déjà parlé, le Congrès américain vota la loi Sarbanes-Oxley pour régulariser ce système et notamment pour identifier les manipulations fréquentes des dates des stock-options des dirigeants (30% des entreprises). La loi cherchait aussi à faire apparaître un bilan plus réel des entreprises où l’inclusion des stock-options laissait croire, faussement, à une baisse de 10% du profit des entreprises. En France, selon Jean Lambrechts[7], la part des stock-options dans la rémunération des dirigeants est la plus élevée d’Europe et même par rapport aux USA, puisque les sommes engagées peuvent égaler deux fois le salaire annuel. En 2006, d’après les statistiques du cabinet Towers Perrin, plus de la moitié des stock-options étaient détenues par des PDG français ! Tous ces scandales font que les stock-options sont maintenant de plus en plus souvent remplacées par des distributions d’actions gratuites (AGA).

 

Les parachutes dorés

 

Outre leurs traitements très élevés, ces dirigeants se font attribuer au moment de la signature de leur contrat une clause précisant une prime de départ pour contrebalancer une éventuelle éviction, un licenciement possible ou des changements possibles dans la structure de la société. Ces sommes qui atteignent plusieurs millions d’euros s’ajoutent aux indemnités légales, ce qui leur a fait donner le nom de « parachute doré ». Certains se sont même fait ajouter une retraite-chapeau en complément de leur retraite légale.

Citons quelques dirigeants avec leurs parachutes en or[8] : F. Ross Reynolds, dirigeant de Reynolds Tobacco Company (58 millions de dollars), J.M. Messier de Vivendi Universal (20,5 millions d’euros), P. Jaffé d’Elf (19 millions d’euros), P. Biger d’Alstom (4,1 millions d’euros), C. Fiorina d’Hewlett-Packard (42 millions de dollars), D. Bernard de Carrefour (38 millions d’euros), N. Forgeard d‘EADS (8,5 millions d’euros), S. Tchuruk d’Alcatel (5,7 millions d’euros), A. Zacharias de Vinci (13 millions d’euros), P. Russo d’Alcatel (6 millions d’euros), F. Goodwin de la Royal Bank of Scotland (726.000 euros de retraite annuelle), T. Morin de Valéo (3,2 millions d’euros), J.-F.L Roveraton d’Eiffage a reçu 195.000 actions gratuites à son départ) et Sadek Sayed de Nimura Holdings (27 millions d’euros)…

Le parachute très doré de Noël Forgeard de 8,5 millions d’euros a fait scandale en France parce que la société était en très grande difficulté, en crise, et que la prime octroyée en moyenne aux employés s’élevait seulement à 2,88 euros, ce qui a conduit à la relever tout de même à 1.000 €. Et ces dirigeants n’ont même pas honte de l’inégalité !

Un autre parachute doré a fait scandale, c’est celui de Daniel Bouton, le PDG de la Société générale de 1997 à 2008, président du conseil d’administration en 2008-2009 ; le banquier le mieux payé de France. Le 7 janvier 2008, la direction annonce une perte de 7 milliards d’euros dont une part reviendrait à l’affaire Kerviel (4,9 milliards) et le reste (2 milliards d’euros) des sub-primes. Malgré la crise de 2008, Médiapart révélait le 10 octobre 2008 que Bouton avait réalisé une superbe opération en spéculant sur la Société générale en vendant ses stock-options qui lui ont rapporté 1,3 million d’euros[9], des plus values jugées « immorales » sur Europe 1[10], par François Chérèque, Secrétaire général de la CFDT, alors que l’Etat venait de prêter 1,7 milliard d’euros à sa banque. Rappelons que la Société générale avait déjà été renflouée par les Américains à la hauteur de 11,9 milliards ! Les  revenus de Bouton se seraient élevés à 5,24 millions d’euros en 2007 en partie grâce à la  vente de stock-options pour une valeur de 3,77 millions. Le 9 mars 2009, il reçoit un lot de 70.000 titres de stock-options alors que la banque est renflouée par l’Etat (et les Etats-Unis). La Ministre des finances lui a fait renoncer à ce cadeau. Il démissionne alors de son poste de la Société générale le 29 avril 2010 et crée une nouvelle société de conseil, date à laquelle il touchera sa retraite annuelle du régime complémentaire de retraite des cadres de la Société générale de 730.000 euros. Et, lorsqu’il prendra sa retraite de la sécurité sociale, il percevra en outre, environ 1,25 million d’euros, plus sa retraite d’agent public de l’Etat obtenue lorsqu’il était directeur de cabinet ministériel… Ces chiffres sont moralement malvenus dans un moment de crise, surtout qu’en tant que PDG, il est hautement responsable de la gestion de sa banque et que, s’il fallait le rémunérer aux résultats, avec l’affaire Kerviel, il ne mériterait certainement pas ces récompenses excessives… Un vrai Bouton d’or !

Signalons au passage qu’une étude suisse de l’université de Saint-Gall a analysé le comportement des « traders » qui peuvent parier des milliards sur les marchés lors d’opérations frauduleuses. Elle citait la banque helvétique UBS avec les fraudes réalisées par Kweku Adoboli, de l’équipe Global Synthetic Equities Trading à la City de Londres, en septembre 2011, qui a fait perdre à UBS plus de 2 milliards de dollars. Le rapport  concluait[11] que certains traders auraient un comportement plus dangereux et manipulateur que des psychopathes. Un trader indépendant aurait même affirmé : « La récession, c’est une opportunité pour nous. Je vais au lit tous les soirs en rêvant d’une nouvelle récession », reflétant bien la mentalité de beaucoup de milieux financiers…

Un dernier exemple rapporté par les Echos du 29 septembre 2011 citant le rapport d’Havas, est celui de Fernando Rodes, ancien patron d’Havas entre 2006 et 2011, qui va toucher au moins 12 millions d’euros pendant 5 ans, avec un petit supplément variable de plusieurs millions d’euros auxquels s’ajouteront quelques intéressements plafonnés à 24 millions d’euros, sachant que sa famille possède en outre 2,18 % du capital d’Havas. Il touchera donc bien plus qu’il ne gagnait du temps où il exerçait ses responsabilités !

Tous ces chiffres astronomiques sont justifiés par le patronat pour attirer les meilleures compétences dans les entreprises françaises. Ils atteignent de tels sommets qu’ils deviennent totalement indécents.

Qu’un responsable d’une grande entreprise reçoive un traitement élevé, est normal, dans la mesure où il assume effectivement des responsabilités importantes sur les divers plans de la gestion de l’entreprise qui gère des milliers d’employés, à qui il apporte, en principe du travail. Mais, à ce stade, l’excès de ces salaires, retraites-chapeau et stocks-options et bonus, devient totalement immoral dans la mesure où ces avantages sont garantis d’avance de façon contractuelle, avant même l’exercice de la fonction, quel que soit son résultat, positif, ou négatif. Le bilan d’un entrepreneur résulte en fait de ses décisions et aussi et surtout du travail de l’ensemble de ses employés soumis à des productivités et des contraintes toujours accrues avec des salaires qui stagnent, quand ils ne diminuent pas !

Signalons en passant, que les retraites-chapeau ne sont pas limitées aux dirigeants d’entreprises. Plus d’un million de salariés en bénéficieraient selon une note confidentielle de la Fédération française des Sociétés d’assurance que Les Echos ont pu consulter.

 

 



[1] Piketty, T. & Saez, E. 2003. Income Inequality in the United States 1913-1998. Quaterly Journal of Economics, 118 (1). & http ://www.econ.berkeley.edu-saez/TabFig2004.xls.

[2] Bebchuck, L. & Grinstein, Y. 2005. The growth of Executive Pay. Oxford review of Economic Policy, 21 (2) : 283-303. & htpp://www. law.harvad.edu/bebchuck/pdfs/bebchuck-Grinstein. Growth-of-Pay.pdf.

[3] d’après Bruno Declairieux, Capital, juillet 2011, n°96.

[4] Dély, R. 2011. Hauts revenus : ça plane pour eux ! Le Nouvel Observateur, n°2458 du 15/12/2011.

[5] sur un bénéfice total de 2007, d’environ 7 milliards d’euros.

[6] Voir : La Finance pour tous. 2009.

[7] Dirigeant du pôle Rémunération des Dirigeants au sein du cabinet Hewwitt Associates France.

[8] voir Libération du 18/08/2010.

[9] Le Monde du 11octobre 2008.

[10] 24/10/2008.

[11] comme le rapporte Le Figaro du 29 septembre 2011.

[12] Virard, M.-P. 2008. La finance mène-t-elle le monde ? Paris, Larousse, coll. À dire vrai.

[13] Global Wealth Reports 2010 et 2011 réalisés par Anthony Shorrocks et Jim Davies et le personnel du «Personal Wealth From a Global Perspective»

[14] Le Post du 27/11/2011. La tribune de Genève du 3/12/2011. L’Allemagne et la Grande-Bretagne y ont souscrit, l’Italie et la Grèce vont le signer ! La France s’y refuse actuellement. Les Echos, 2/12/2011. Il y a un rattrapage de 19% à 34% en fonction de la durée des placements effectués et 26,37% sur les gains de capitaux.

[15] La Tribune, 3/12/2011.

[16] Hirsch, M. La crise profite aux plus favorisés. Interview de S. Arteta, D. Nora & Philippon, T. Le Nouvel Observateurdu 15/12/2011.

[17]  Géopolitiq, Geopolitis du 10/11/2011, Wikipedia, Magazine Bilan 2011, le Journal du Net, Economie.

[18] Beaucoup sont installés à Cologny, une commune huppée de Genève.

[19] Selon l’économiste Jacques Marseille.

[20] Selon le forfait fiscal suisse réservé aux étrangers (environ 3.600), il n’est pas nécessaire de déclarer les revenus et la fortune, sous réserve d’exceptions, mais on ne doit pas y exercer d’activités lucratives. IL est fixé par l’administration au minimum à 5 fois le montant du loyer annuel du logement (Oberson, X . & Sayegh, F. Présentation de l’imposition selon la dépense ou forfait fiscal. Finest Properties. Newsletter, 3)

[21] Easterlin, R.A. 1974. Does Economic Growth Improve the Human Lot ? in : Nations and Households in Economic Growth : Essays in Honor of Moses Abramovitz. David, P.A.& Rezder, M.W., New York Academic Press Inc.

[22] Hessel, S. & Morin, E. 2011. Le Chemin de l’espérance. Paris, Fayard.

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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 17:48

 

« Tout pour nous et rien pour les autres,

 voilà la vile maxime qui paraît avoir été,

dans tous les âges,

celle des maîtres de l’espèce humaine ».

Adam Smith

 

L’appétit des plus forts est insatiable,

 seules les lois peuvent le contenir

Machiavel

 

Sous un bon gouvernement, la pauvreté est une honte ;

sous un mauvais gouvernement, la richesse est aussi une honte.

Confucius

 

8

 

Le supercapitalisme

à l’œuvre

 

La mise en place du supercapitalisme dans les années 1970 s’est soldée par un certain nombre de conséquences qui ont bouleversé l’économie et surtout la structure des Etats qui se désengagent de leurs charges sociales en réduisant le service public et donc l’emprise de l’Etat-Providence, pour le remplacer par le privé, en accroissant les inégalités d’une façon inégalée au sein de la population.

 

La réduction du service public et son remplacement par le privé

 

Avant 1970, dans les grandes entreprises, certains services étaient plus rentables que d’autres. Autrement dit, les services déficitaires étaient compensés par ceux qui étaient bénéficiaires et on les conservait au nom du service public. Mais la nouvelle déréglementation économique et l’accroissement de la concurrence ont imposé de toujours réduire les coûts de fonctionnement et de personnel pour faire plus de bénéfices au détriment du service public. La mentalité des dirigeants de grandes entreprises a aussi changé, mettant la rentabilité en priorité, bien avant le service public.

 

Les premières applications des théories friedmaniennes

 

Friedman est en 1964 le conseiller économique du conservateur Barry Morris Goldwater. Président de l’Association des économistes américains en 1967, il devient le conseiller économique de Richard Nixon. Nixon ne suivra pas ses idées d’éliminer le contrôle des prix et des salaires, mais il suivra par contre l’idée d’abolir la conscription, en 1973.

Friedman donne des cours à des étudiants chiliens de l’Université pontificale catholique du Chili et, à leur invitation, rencontre, en 1975, le dictateur Augusto Pinochet pour inciter la junte à adopter son idéologie. Un bon terrain pour tester ses théories en grandeur nature et mettre en pratique sa conception de remplacer le service public par le privé et de réduire conjointement les services sociaux afin de faire des économies budgétaires.

En 1980, Friedman est devenu le conseiller ‘officieux’ de Ronald Reagan et est entré dans son comité économique où il resta jusqu’en 1988. Reagan sera le premier à faire appliquer ses théories. On en a vu le résultat avec l’accroissement du budget militaire pour mettre sur pied la guerre des étoiles, qui s’est traduit par un accroissement du déficit public de 1.000 milliards de dollars[1].

Margaret Thatcher, puis John Major en Angleterre, ont mis en œuvre ses conceptions, ainsi que par Brian Mulroney au Canada. Il faut dire qu’en Europe cette conception fut aussi encouragée par l’Union européenne voulant favoriser la concurrence, par sa directive n°. 91/1440. Un système qui fut appliqué apparemment avec succès par la Suède dès 1991, mais parce que le social y fût préservé.

Nous en avons vu les résultats catastrophiques en Angleterre, avec le début du démantèlement de la Société ferroviaire publique(British Railways Board), sous le gouvernement conservateur de Thatcher. Cette société fût ensuite vendue en 25 concessions ferroviaires voyageurs afin de maximiser les bénéfices par John Major, sous l’influence du Cercle de réflexion Adam Smith dont le seul titre exprimait la politique choisie. Cette cession des responsabilités s’est traduite par de nombreux accidents, comme celui de Hatfield en octobre 2000, par économie sur le budget de la sécurité, pour gagner plus ! Citons aussi le plus grand fiasco économique de M. Thatcher, la construction du tunnel sous la Manche, confié exclusivement au privé et qui a ruiné les petits actionnaires qui croyaient rendre service à l’Etat.

Il faut y ajouter la réforme du service de santé (National Health Service) qui fonctionnait correctement sous contrôle depuis 1948, lors de sa création. Mais, à partir de du 1er avril 1991, et ce n’est pas un poisson d’avril, les gouvernements Thatcher, et ensuite de Major, le transformèrent en marché de type libéral concurrentiel dont le but affiché était d’offrir au public des services plus efficaces, impliquant des relations contractuelles entre les producteurs de soins et les acheteurs. Il en résulta une dégradation des soins avec des délais d’attente très longs et des locaux de plus en plus vétustes. Et surtout, cela entraîna le développement d’une médecine à deux vitesses, celle des riches qui peuvent se faire soigner rapidement et efficacement dans les cliniques privées et celle des pauvres relégués dans les services publics surchargés. Tony Blair en 1997 a tenté de réduire ces distinctions en instituant un  réseau de soins. Si ces réformes ont un peu amélioré la situation, la médecine britannique[2] reste de type libérale à cause du financement privé, de la concurrence et de l’entrée en jeu de compagnies d’assurances privées.

Aux USA, dans le transport aérien, de nombreuses lignes locales ont été supprimées, car elles n’étaient pas assez rentables. Pour accroître les bénéfices il en est résulté une réduction des coûts, c’est-à-dire une réduction du personnel et des prestations offertes. Les syndicats furent obligés d’accepter des conditions de travail beaucoup plus souples et des réductions de rémunérations importantes. De nouvelles compagnies low cost furent créées mais avec plusieurs différences importantes, sans section syndicale et surtout sans le poids des pensions et de l’assurance maladie des personnels retraités. C’est donc tout bénéfice pour les dirigeants, pour une oligarchie dotée de bonus ou de parachutes dorés, alors que les employés ont des traitements de plus en plus réduits.

Il en fut de même avec le transport routier américain où environ 300 grands transporteurs classiques firent faillite, ce qui mit au chômage de nombreux employés, qui furent remplacés par 10.000 petits transporteurs négociant directement leurs prix avec les clients, avec des réductions de salaires pour les employés.

C’est ce qui est arrivé en France avec la SNCF qui a supprimé les liaisons peu fréquentées, donc déficitaires au bénéfice des plus rentables et avec La Poste qui a supprimé de nombreux bureaux dans les campagnes. Autrement dit, le nouveau capitalisme détruit le service public pour le remplacer par celui du privé, c’est-à-dire plus rentable pour les actionnaires.

 

Le FMI, la Banque mondiale et le Consensus de Washington

 

La chute du communisme soviétique a permis à l’idéologie capitaliste friedmanienne de s’étendre grâce notamment au Consensus de Washington. Or, ce soi-disant consensus, rédigé par seulement quelques directeurs de banques américaines, n’a jamais été discuté, ni ratifié par aucune instance, ni aucun pays. Il s’agit d’une série de dix mesures préconisées par John Williamson[3] en 1989 reflétant les conceptions de l’école de Chicago que le FMI et la Banque mondiale ont imposé pour octroyer leurs prêts aux pays en difficulté. Parmi ces mesures néolibérales citons, la discipline budgétaire éliminant les déficits, une réforme fiscale favorisant les plus riches, la réorientation des dépenses publiques ‘non productives’ vers des secteurs plus profitables en pratiquant des coupes sombres dans les dépenses publiques (consacrées à l’éducation, la santé, le logement et les aides sociales), la libéralisation des taux d’intérêt et du commerce extérieur, la privatisation des monopoles, la déréglementation des marchés et l’ouverture des frontières par le démantèlement des droits de douane des pays les plus pauvres.

Ce principe a été appliqué en Amérique latine pendant une décennie et le résultat a été une catastrophe, alors qu’il était censé augmenter la croissance économique et l’emploi. Il a mené l’Argentine à la faillite dont elle n’est sortie qu’en refusant l’aide du FMI. C’est en effet tout le contraire qui s’est passé. Si en 1980 il y avait 120 millions de pauvres, en 1999, leur nombre était passé à 220 millions touchant 45% de la population. La dette publique qui devait être jugulée a doublé entre 1991 et 2001. En outre les services publics démantelés (les chemins de fer, les lignes aériennes, les services d’eau et d’énergie) ont été rachetés par des multinationales étrangères à cause de la libéralisation des échanges extérieurs.

Le consensus a servi également de base à la transition des régimes communistes de Russie et d’Europe de l’Est à l’économie de marché. Là encore, en raison de la rapidité du processus imposé, le résultat a été un échec social, puisque la pauvreté y a été multipliée par dix. Le FMI a également sévi en Asie, tout d’abord en Thaïlande où il a aggravé la crise. La Malaisie a réussi à sauver la situation en reprenant le contrôle des mouvements de capitaux. Désormais le FMI a perdu de sa crédibilité en voulant imposer partout sans nuance la politique friedmanienne du Consensus de Washington qui est un échec cuisant pour tous ceux qui en ont subi les conséquences.

Ce consensus a été même vivement critiqué au Forum économique de Davos de 2003, en constatant les désastres entraînés par cette politique néolibérale excessive. La Banque mondiale en 2007 a admis la nécessité des interventions des Etats. Enfin le FMI a été obligé de revoir les objectifs de sa mission en se focalisant sur la remise en ordre des finances mondiales tenant compte de la pauvreté. En 2008, il a recommandé la hausse des budgets sociaux et reconnu les dangers de la libre circulation des capitaux qui, détruisant l’économie, doit être régulée et taxée[4]. Ces recommandations ne sont malheureusement pas appliquées, qu’attendent nos responsables politiques ?

 

La déréglementation financière et économique, le nouveau système bancaire

 

Elle commença dans les années 1970 dans les banques, les finances, l’industrie et le transport aérien. Les activités bancaires et d’assurance subirent les mêmes transformations que l’industrie. Les nouvelles technologies permirent aux investisseurs dans la finance d’avoir les meilleurs résultats, dans les placements des fonds de pensions par exemple… Les salles de bourse changèrent d’aspect et se couvrirent d’ordinateurs, de même que les banques où une nouvelle profession est apparue, celle des traders. Les ordinateurs permirent de transmettre dans l’instant les ordres financiers et de spéculer avec les fluctuations des bourses.

Les déréglementations économiques, notamment dans le système bancaire, commencèrent aux USA dans les années 70 avec Ronald Reagan et son conseiller économique Milton Friedman et en Angleterre avec Margaret Thatcher. Elles s‘étendirent aux autres pays développés dans les années 80. La commission européenne qui a adopté le concept a encore accéléré les déréglementations depuis les années 2000, œuvrant pour le tout déréglementé ! Voyons-en l’enchaînement.

 

Les deux types de banques : de la séparation à la fusion

 

Il existait alors deux types de banques dont les objectifs étaient séparés par le Glass-Steagall Act de 1933. Les banques de dépôts que l’on peut appeler les banques des particuliers, comme la Caisse d’épargne et la Poste et bien d’autres, recevaient les dépôts d’épargne de leurs clients et sous diverses formes de livrets, en rétribuait le placement à un taux qui était fixé par le gouvernement. Seuls les emprunts d’Etat étaient gérés par ces banques. Aux USA, l’équivalent concernait surtout les fonds de pension, les fonds mutuels et les compagnies d’assurance.

À côté existaient les banques d’affaires oud’investissement,pour les grandes entreprises, les investisseurs institutionnels ou même les Etats. Celles-ci s’occupaient des activités financières plus complexes, comme celles de la bourse, les fusions de sociétés, l’émission de produits financiers variés et souvent complexes et les spéculations. Comme les particuliers ne peuvent y déposer leur argent, ces banques vont chercher l’argent nécessaire auprès des marchés financiers des banques centrales ou des autres banques de dépôts.

Les banques d’affaires demandèrent une déréglementation pour accéder plus facilement aux crédits des particuliers et les fonds de pensions demandèrent l’autorisation de gérer directement leurs propres fonds.

Ce fut fait aux USA en 1974 avec la loi Employee Retirement Income Security Act. Elle autorisait les fonds de pensions et les compagnies d’assurances à placer leurs portefeuilles en bourse. Réciproquement, en 1975, les banques purent proposer des fonds mutuels avec comptes et chèques. La cloison étanche entre les deux types de banques était tombée !

En outre, en 1980, les banques eurent l’autorisation de fusionner, d’ouvrir des succursales où elles voulaient et de fixer leurs propres taux d’intérêt, ce qui augmentait la concurrence. Elles devenaient ainsi des mastodontes incontournables dont les faillites auraient eu de telles conséquences que les Etats étaient obligés de les soutenir. C’est la stratégie adoptée par de nombreuses banques qui a conduit au krach de 2008-2011. On en voit les effets en octobre 2011 avec le démembrement de la banque Dexia qui avait déjà bénéficié d’une sauvegarde de 6,4 millions d’euros trois ans plus tôt, mais sans contrepartie de fonctionnement. Et le premier engagement de Dexia avait été de distribuer des bonus à ses membres !

Comme le claironnait l’ancien PDG de Coca-Cola, Roberto Goizueta : « Nous avons une tâche : générer une rentabilité satisfaisante pour nos actionnaires… Nous devons concentrer nos efforts sur notre devoir essentiel : créer de la valeur sur la durée », ce qui signifiait faire monter l’action au maximum ! L’ancienne conception d’équilibrer les intérêts de toutes les personnes concernées, des employés aux dirigeants, aux actionnaires et à l’Etat américain était passée aux oubliettes ! Fini, les grands patrons industriels/hommes d’Etat d’antan ! Place unique aux profits juteux, les méthodes important peu…

 

Les agences de notations financières, nouvel outil du supercapitalisme

 

Consacrons quelques lignes à ces agences de notation financières Standard & Spoor’s[5], Moody’s[6] et Fitch Ratings[7] et l’agence chinoise Dagong, qui sont étroitement liées à la grande finance. Elles sont devenues l’outil de choix du supercapitalisme. Pourquoi ? En donnant des notes aux significations opaques, pour ne pas dire obscures, sans justifier leurs arguments de notations, aux différentes instances banquières, aux entreprises et aux Etats, elles sont l’outil privilégié de la spéculation. Elles ne sont pas indépendantes, puisqu’elles sont payées par les entités qui veulent avoir leurs notations ! Elles permettent aux banques de justifier l’augmentation de leurs taux d’emprunts. Elles attribuent des notes de AAA à D pour S & P, ou de A à C pour Moody’s, qui reflètent le risque de ne pas pouvoir se faire rembourser les dettes. Cette notation classe les Etats ou les entreprises en deux catégories, Investissement ou (High Grade) de AAA à BBB et Spéculative pour les notes plus basses. Elles sont l’outil par excellence de la gouvernance mondiale de la finance, bien au-dessus des gouvernements et des entreprises, à qui elles imposent leurs règles supercapitalistes du Consensus de Washington. Les agences de notation et le FMI exigent à la fois les réductions des déficits qui impliquent, le plus souvent, selon les gouvernements en place l’austérité pour les classes les plus pauvres sans toucher les revenus du capital de l’oligarchie (ou de façon si minime). Il s’agit d’une politique incohérente pour la bonne raison que l’austérité supportée essentiellement par les classes les plus pauvres et moyennes entrave définitivement la reprise de la croissance.

Mais, quand on voit comment le 10 novembre 2011, Standard & Spoor’s annonçait, soi-disant ‘faussement’ au monde entier, que la France avait perdu son triple AAA, on comprends le rôle néfaste clairement démontré que ces agences peuvent jouer dans l’économie. Surtout que ces agences ont déjà fait des erreurs magistrales de notation. Au moment de la crise des subprimes, elles ont noté Enron et Lehman Brothers en ‘A’ et les Hedge Funds, les fonds de spéculation en ‘AAA’, juste avant leurs effondrements ! En outre, elles ont été incapables de contrôler les comptes truqués de la Grèce à son entrée dans la zone euro. Elles favorisent la spéculation sur les pays fragilisés. Jusqu’à la crise des sub-primes, la Securities and Exchange Commission était opposée à un contrôle de ces agences. On en voit le résultat aujourd’hui ! L’OCDE, la Commission européenne et l’Autorité Européenne des Marchés Financiers les ont aussi critiquées. Elles ont perdu leur crédibilité, mais continuent d’affirmer leurs prétentions à diriger le monde. Elles devraient être non seulement sanctionnées sévèrement pour l’opacité de leurs notations[8], leurs dépendances d’intérêts, leurs incompétences notoires révélées par leurs erreurs et leur dictature, mais surtout supprimées pour le bien du monde.

 

Les conséquences de la déréglementation financière : un succès évident pour les banquiers

 

C’est dans le domaine financier que les effets de la déréglementation furent les plus importants. L’économie s’est financiérisée. La façon de travailler changea rapidement avec la mise en place des guichets de retrait automatiques dont la conséquence immédiate fut la suppression de milliers de caissiers. La mentalité des particuliers fut considérablement modifiée, comme l‘a souligné Edward E. Furash. Les jeunes, de plus en plus nombreux, sont passés du stade d’épargnant à celui d’investisseur en achetant des actions et en cherchant les placements les plus rémunérateurs, ce qui fut favorisé par la hausse assez constante du Dow Jones qui passa de 1.000 à 13.000 points en quarante ans. Dans ce domaine, les bénéfices des grandes entreprises furent si considérables que les rémunérations dépassèrent tout ce que l’on avait vu auparavant. Les traders[9] furent encouragés à spéculer outrageusement avec l’argent de l’épargne déposés par les clients, qui souhaitaient des placements toujours plus lucratifs, atteignant des taux de l’ordre de 15% à 25% ou plus, ce qui ne s’était jamais vu. Ces spéculations ont été favorisées par les transmissions informatiques quasi-instantanées des ordres d’achats et de vente permettant en quelques heures de jouer sur les fluctuations de la bourse.

Un nouveau système s’est instauré, celui de la Banque de l’ombre (Shadow banking system). Les acteurs en sont des entités d’investissements (Hedge Fonds) qui, puisqu’elles ne reçoivent pas de dépôts, ne sont soumises à aucune réglementation bancaire[10]. Elles achètent à crédit[11] des entreprises sans utiliser leurs fonds propres, ce qui leur procure ainsi de hauts rendements absolument irréalisables par l’économie réelle ! Leur fonctionnement utilise cet effet de levier efficace (leveraging). Selon des estimations faites en 2008 avant la crise, les banques de l’ombre disposaient aux USA de plus de 10.000 milliards de dollars !

Sous le prétexte de la ‘résistance à la concurrence ‘, les entreprises ont obtenu la libre circulation des capitaux et des marchandises. Avec ces dérégulations, les entreprises avaient beau jeu de pratiquer le nouveau libéralisme qui menait au supercapitalisme.

La déréglementation fut un succès total sans précédent pour les financiers. En effet, si les financiers faisaient des bénéfices considérables qu’ils ne partageaient pas, en cas de faillite, c’est l’Etat, donc, les contribuables qui les renflouaient… C’est ce que nous allons voir maintenant.

 

 

La privatisation des profits et la mutualisation des pertes

 

L’application du système aux USA

 

L’application de ce système très avantageux pour les banques a été mise en œuvre avec le fiasco des caisses d’épargneaux USA. Les caisses d’épargne américaines spéculèrent sur des placements douteux et firent faillite. Selon Akerlof et Romer[12] en 1993 « le fiasco des caisses d’épargne a été dû au fait que les régulateurs ont caché l’ampleur véritable du problème, que les parlementaires ont pressé les régulateurs de ménager les électeurs importants et les gros donateurs et que les lobbyistes ont réussi à empêcher toute action corrective jusqu’à ce que les problèmes soient si graves que la seule solution était de les répercuter sur les contribuables ». Et effectivement leur déficit fut épongé par l’Etat à la hauteur de 600 milliards de dollars, donc par les contribuables ! Mais il y a mieux encore…

Le krach des sub-primes de 2008 en est le dernier exemple spectaculaire qui a touché, cette fois-ci, non seulement les Etats-Unis, mais le monde entier. Et l’on a vu les Etats, donc les contribuables, subventionner les banques pour leur éviter la faillite dont elles étaient responsables, à des hauteurs jamais atteintes, sans jamais la contrepartie imposée d’une re-régulation, dont naturellement les banques ne veulent pas entendre parler pour continuer à faire leurs bénéfices fabuleux. Citons quelques chiffres qui parlent par eux-mêmes.

L’assureur AIG, dont nous avons déjà parlé, a été sauvé par quatre plans de sauvetage successifs dépassant plus de 180 milliards de dollars (140 milliards d’euros) de fonds publics, le groupe ayant affiché des pertes de 99,3 milliards de dollars depuis septembre 2008. Le groupe a publié la liste de ses contreparties dans un souci de transparence de l’utilisation de ces fonds publics[13]. Cet argent a d’ailleurs servi à sauver de nombreuses banques européennes. Trois institutions ont bénéficié de 70% des 52 milliards de dollars de fonds public de Washington. Ce sont la banque d’affaires Goldman Sachs pour 12 milliards de dollars, la Société générale(française) pour 11,9 milliards, la Deutsche Bank (allemande) pour 11,8 milliards. Ont encore profité de cette manne, la banque britannique Barcklays pour 7 milliards de dollars, la banque d’affaire américaine Merrill Lynch pour 6,8 milliards de dollars et la banque suisse UBS pour 5 milliards de dollars. Il faut y ajouter quelques établissements français menacés par la débâcle de la crise ; ce sont BNP Paribas pour 4,9 milliards de dollars, ainsi que Caylon, la banque d’affaire du Crédit agricole à la hauteur de 2,3 milliards de dollars. La faillite d’AIG aurait encore entraîné dans sa chute la banque britannique HSBC, les banques allemandes Dresdner et DZ bank, les banques hollandaises Radobank et ING si l’Etat fédéral n’était pas intervenu !

Cette situation a choqué l’opinion et la classe politique américaines au point que le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke a expliqué[14] : « Il est totalement injuste que l’argent du contribuable aille soutenir une compagnie qui a fait des paris irresponsables, qui opérait sans supervision des régulateurs. Mais nous n’avions pas d’autre choix que de stabiliser, sous peine d’un impact énorme, pas seulement le système financier mais l’ensemble de l’économie américaine »

En outre, selon une source AFP, à peine renflouée, AIG s’était engagée à verser pour des raisons, soi-disant contractuelles, 450 millions de dollars de primes aux artisans qui avaient causé sa déconfiture ! En outre certains dirigeants d’AIG se sont offert une semaine plus tard, le luxe d’une semaine de retraite[15] au Saint Régis de Monarch Beach de Californie facturé 443.353 dollars ! Le président Obama choqué a déclaré : comment les bénéficiaires de primes « justifient-ils un tel scandale auprès des contribuables qui maintiennent la compagnie à flot avec leur argent ».Ajoutant : « Ce sont des comportements inconsidérés » et « l’appât du gain » qui ont mis AIG en état « de détresse financière » et cela rend encore plus difficilement compréhensible le versement de 165 millions de dollars aux responsables d’AIG Financial Products, la filiale londonienne responsable des problèmes de l’assureur. Le président Obama a demandé à son Secrétaire au Trésor « d’employer tous les moyens légaux pour bloquer ces primes et veiller au bon usage de l’argent du contribuable », l’assureur étant désormais contrôlé à 79,9% par l’Etat en échange du sauvetage.

Si les banques ont été renflouées, qu’en est-il advenu des 3 millions de pauvres américains qui ont perdu leurs maisons se sont retrouvés ruinés, à la rue, sans être défrayés de leurs pertes ? Un petit milliard de dollars aurait amplement suffi à éponger leurs dettes. Mais rien, car les Républicains qui sont les défenseurs acharnés de ce nouveau supercapitalisme ne veulent absolument pas augmenter les impôts des plus riches, comme l’ont montré les difficultés du Président Obama dans les négociations sur l’accroissement de la dette américaine d’août 1011 ; ils préfèrent faire des coupes sombres dans les dépenses sociales des plus pauvres ! Mais les USA ne sont pas les seuls pays à pratiquer cette politique de privatisation des profits et de mutualisation des pertes. La France et L’Europe l’ont mis, et la mettent encore en œuvre actuellement comme on va le voir.

 

Le Crédit lyonnais et Dexia

 

Le Crédit Lyonnais (CL) est une banque fondée à Lyon par Henri Germain qui est parvenue au premier rang mondial en 1900. Nationalisée en 1946 et en 1981, la banque spécule sur les bons du Trésor américain. Elle perd 4 milliards de francs par le biais de sa filiale la banque de Slavenburg. En 1986, son nouveau président, Jean maxime Lévèque engage la banque dans une privatisation accélérée grâce à des activités dans l’immobilier et le cinéma. Selon l’Express du 4 novembre 2002, Son successeur Jean Yves Haberer développe une politique de croissance extérieure gigantesque avec une stratégie de « banque industrie » et finance des industriels comme F. Pinault, B. Arnault, V. Bolloré et B. Tapie. Il s’engage dans la prise de contrôle de la firme cinématographique Metro Goldwyn Meyer par l’intermédiaire de sa filiale des Pays-Bas, le Crédit Lyonnais Bank Nederland. Une autre de ses filiales, Altus France mène une politique de prêts à risques dans l’immobilier et de prises de contrôle d’entreprises en difficultés dans le but de les revendre après leur redressement. Le bilan 1990 est brillant car le C.L. doit prendre le contrôle de MGMde G. Parreti qu’il renfloue à perte (145 millions de dollars), alors qu’une procédure de faillite involontaire est ouverte aux USA en 1991. Par ailleurs Altus perd des centaines de millions dans ses investissements de sociétés de services informatiques. Une holding suisse de F. Fiorini, la Sasea, qui gérait les biens agricoles du Vatican est entrée dans le Crédit lyonnais et due être renflouée à hauteur de 5 milliards de francs. En outre le CL a soutenu le ‘groupe de promotion immobilière’ de M. Pélège, et lui a accordé 1,4 milliard d’encours en 1991. L’année 1992 est une année-charnière avec la découverte d’un déficit de 1,8 milliard de francs et le CL doit accroître ses provisions, « passer un provisionnement » comme on dit ; mais son directeur ne le fait pas suffisamment. La déconfiture du Crédit Lyonnais dans l’immobilier est considérable avec 41,3 milliards de francs ! En 1980, le CL avait créé une structure occulte de droit péruvien, la Paninustria, filiale d’une société Interetud qui, au Pérou, représentait l’Office général de l’Air et de nombreuses firmes d’armements, servant d’intermédiaire en ventes d’armes et permettant de verser des commissions à certains cadres par le biais de la filiale du Crédit Lyonnais Luxembourg. Le résultat de ce scandale d’Etat est éloquent : 20 milliards de pertes. Pour faire face à la faillite de la banque, la France a créé un Consortium de réalisation (CDR) qui a hérité des dettes du CL et décidé de « socialiser les pertes », ce qui veut dire de les faire payer par les contribuables.

 

Dexia. Rappelons que la banque Dexia résulte de la privatisation en 1993, par le gouvernement Balladur (Sarkozy étant ministre du Budget), du Crédit local de France et sa fusion avec le Crédit communal de Belgique, convertie aux logiques du marché et de la spéculation, avec pour conséquence les ‘emprunts toxiques’.Même le Premier ministre français, François Fillon, a été choqué par la reprise des pratiques de bonus d’environ 6 millions d’euros chez Dexia[16] qui venait d’être sauvée de la faillite par les Etats français, belges et luxembourgeois, avec une aide de 6,4 milliards d’euros alors qu’elle était en train de supprimer 900 postes, dont 250 en France. Il a déclaré le 22 avril 2009 : « Les cas choquants de rémunération des patrons attisent la violence ». La crise n’avait manifestement rien appris à ces dirigeants qui continuaient à faire fonctionner leur entreprise comme si la crise n’avait pas eu lieu ! Ainsi Axel Miller, l‘ancien patron a affirmé avoir renoncé à sa prime de 3,7 millions d’euros, mais le conseil d’administration lui a octroyé une petite indemnité de 825.000 euros. Quant à son successeur Pierre Mariani, il s’est accordé une simple augmentation de 30% de son salaire annuel par rapport à celui de Miller ! Le conseil d’administration a voté à l’unanimité un salaire annuel d’un million d’euros annuels pour le directeur général et le plafonnement de son bonus à seulement 2,25 millions d’euros ! Les députés ont été également choqués par ces excès et ont voté contre l’avis du Ministre du Budget, François Baroin, le 22 octobre 2010, des amendements pour le budget 2011. L’un limitait les retraites-chapeau à 30% du montant de leur rémunération de la dernière année d’exercice. L’autre plafonnait les parachutes dorés au double de la plus élevée des indemnités de départ prévues en cas de licenciement par les accords d’entreprises.[17]. Mais, le 19 novembre 2011, les sénateurs ont annulé les deux amendements du projet de budget, ce qui laisse une liberté totale aux conseils d’administration des entreprises pour continuer comme avant la crise…

Rien n’a été fait pour réformer le système ! La preuve en a été donnée encore le lundi 4 octobre 2011 où l’on annonce le démantèlement de Dexia qui a continué sa gestion hasardeuse irresponsable avec une chute de son titre de plus de 30%. La France, selon les Echos, a décidé le 12 octobre 2011 de prévoir un fond de garanties de 32,85 milliards sur les émissions jusqu’en 2021 et une garantie sur 10 milliards d’encours sur les prêts toxiques des collectivités territoriales et des hôpitaux jugées à risques, garanties qui seraient rémunérées ; ce qui entraînera un surcoût de 10 à plus de 50%. Ce qui veut dire que si l’on constatait 1 milliard de pertes, 650 millions seraient à la charge de Dexia et 350 millions à l’Etat, donc à la charge des contribuables. Rien ne change, les hommes politiques sont manifestement à la disposition des banques en les laissant faire n’importe quoi…

 


[1] Ce projet sera poursuivi par George W. Bush, dix ans plus tard, alors qu’il était devenu inutile, au lieu de s’attaquer au réseau terroriste d’Al-Qaida qui préparait activement les attentats du 11 septembre. Calvi, F. 2010. Les routes de la terreur. ARTE, 7/9/2011, Vidéo film, 2-1993-2001 : le compte à rebours.

[2] Voir : 26 mai 2004. Système, infrastructures et services de santé au Royaume-Uni. Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, Missions économiques, France. 3 p.

[3] Williamson, J. 1999. What Should the Bank Think about the Washington Consensus ? Report 2000. Peterson Institute for International Economics.

[4] Faujas, A. Le démantèlement du ’Consensus de Washington’. Le Monde, Economie du 7 avril 2010.

[5] Crée en 1860, acquise en 1966 par le groupe McGraw Hill qui publie des journaux financiers.

[6] Qui appartenait avant 2000 à Dun & Bradstreet, était devenue indépendante depuis cette date, mais a été acquise en 2008 par Moody’s Corporation côté en bourse et possède 40% de part de marché.

[7] contrôlé à 60% par le Holding français Fimalacet à 40% par le groupe de médias américain Hearst.

[8] En outre, leur notation ne correspond d’après la Constitution américaine, qu’à une opinion qui n’engage en rien leurs responsabilités dans les conséquences qui en  résultent.

[9] Ce sont les opérateurs de marché qui achètent et vendent des actions pour leur compte ou celui de son employeur et de ses clients. Beaucoup spéculent aussi sur les variations des cours en achetant et en vendant quelques instants plus tard pour le compte de leur société afin d’obtenir des bonus et des stock-options en fonction de leurs résultats.

[10] La Accords de Bâle III du 16 décembre 2010, doivent être mis en pratique entre 2013 et 2019. En 2010 le minimum de fonds propres d’une banque (Tiers-1) était de 4%, alors que les investisseurs estiment qu’il devrait dépasser 10%. D’où la nécessité de récapitaliser les banques européennes afin de limiter les risques. Ils prescrivent une bonne pratique bancaire, des analyse des risques et une transparence finacière.

[11] avec les fonds de banques de dépôts, des assurances, de grandes institutions comme les caisses de retraites et même des Organismes de Placements Collectifs en Valeurs Mobilières (OPCVM monétaires : SICAV et Fonds Communs de placements).

[12] Akerlof, G.A. & Romer, P.M. 1993, Looting: The Economic Underworld of Bankruptcy for Profit. Brookings Papers on Economic  Activity, 24(2) : 1–73.

[13] Voir Libération, Economie du 16/03/2009.

[14] Voir Libération, Economie, du 04/032009.

[15] Voir Le Point du 08/10/2008, article de Marc Vignaud.

[16] Voir Libération du 23 avril 2009.

[17] Voir Bercy.blog.le Monde.fr du 10/10/2010.

[18] Piketty, T. & Saez, E. 2003. Income Inequality in the United States 1913-1998. Quaterly Journal of Economics, 118 (1). & http ://www.econ.berkeley.edu-saez/TabFig2004.xls.

[19] Bebchuck, L. & Grinstein, Y. 2005. The growth of Executive Pay. Oxford review of Economic Policy, 21 (2) : 283-303. & htpp://www. law.harvad.edu/bebchuck/pdfs/bebchuck-Grinstein. Growth-of-Pay.pdf.

[20] d’après Bruno Declairieux, Capital, juillet 2011, n°96.

[21] Dély, R. 2011. Hauts revenus : ça plane pour eux ! Le Nouvel Observateur, n°2458 du 15/12/2011.

[22] sur un bénéfice total de 2007, d’environ 7 milliards d’euros.

[23] Voir : La Finance pour tous. 2009.

[24] Dirigeant du pôle Rémunération des Dirigeants au sein du cabinet Hewwitt Associates France.

[25] voir Libération du 18/08/2010.

[26] Le Monde du 11octobre 2008.

[27] 24/10/2008.

[28] comme le rapporte Le Figaro du 29 septembre 2011.

[29] Virard, M.-P. 2008. La finance mène-t-elle le monde ? Paris, Larousse, coll. À dire vrai.

[30] Global Wealth Reports 2010 et 2011 réalisés par Anthony Shorrocks et Jim Davies et le personnel du «Personal Wealth From a Global Perspective»

[31] Le Post du 27/11/2011. La tribune de Genève du 3/12/2011. L’Allemagne et la Grande-Bretagne y ont souscrit, l’Italie et la Grèce vont le signer ! La France s’y refuse actuellement. Les Echos, 2/12/2011. Il y a un rattrapage de 19% à 34% en fonction de la durée des placements effectués et 26,37% sur les gains de capitaux.

[32] La Tribune, 3/12/2011.

[33] Hirsch, M. La crise profite aux plus favorisés. Interview de S. Arteta, D. Nora & Philippon, T. Le Nouvel Observateurdu 15/12/2011.

[34]  Géopolitiq, Geopolitis du 10/11/2011, Wikipedia, Magazine Bilan 2011, le Journal du Net, Economie.

[35] Beaucoup sont installés à Cologny, une commune huppée de Genève.

[36] Selon l’économiste Jacques Marseille.

[37] Selon le forfait fiscal suisse réservé aux étrangers (environ 3.600), il n’est pas nécessaire de déclarer les revenus et la fortune, sous réserve d’exceptions, mais on ne doit pas y exercer d’activités lucratives. IL est fixé par l’administration au minimum à 5 fois le montant du loyer annuel du logement (Oberson, X . & Sayegh, F. Présentation de l’imposition selon la dépense ou forfait fiscal. Finest Properties. Newsletter, 3)

[38] Easterlin, R.A. 1974. Does Economic Growth Improve the Human Lot ? in : Nations and Households in Economic Growth : Essays in Honor of Moses Abramovitz. David, P.A.& Rezder, M.W., New York Academic Press Inc.

[39] Hessel, S. & Morin, E. 2011. Le Chemin de l’espérance. Paris, Fayard.

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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 17:43

 

« Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat. Si le peuple américain permet un jour que des banques privées contrôlent leur monnaie, les banques et toutes les institutions qui fleuriront autour des banques priveront les gens de toute possession, d’abord par l’inflation, ensuite par la récession, jusqu’au jour où leurs enfants se réveilleront, sans maison et sans toit, sur la terre que leurs parents ont conquis. »

Thomas Jefferson, 1802.

 

7

 

L’avènement de la mondialisation

et du supercapitalisme

 

Pour comprendre l’état de l’économie mondiale actuelle et son évolution possible, il faut connaître son histoire depuis ses débuts au XVIIIe siècle, avec les grands théoriciens de l’économie et revoir son évolution depuis au moins depuis la fin du XIXe siècle. Pour la résumer, nous utiliserons les synthèses de Naomi Klein[1], Susan George[2], Robert Reich[3], Joseph E. Stiglitz[4], Edgar Morin[5], Daniel Cohen[6], de Pierre Grou[7] d’Askanazy et al[8]., et de bien d’autres, ainsi que des données vérifiées d’autres économistes sur Internet et dans de nombreuses revues spécialisées.

 

Les grands théoriciens de l’économie

 

Adam Smith

 

Il est souvent considéré comme le père de l’économie politique (1723-1790). Philosophe et économiste des Lumières de l’université de Glasgow (Ecosse), il est le fondateur de l’école classique anglaise optimiste qui contrastait avec celle des physiocrates focalisés sur la richesse procurée par la terre. Le terme de physiocrate, fondé par Pierre Samuel Dupont de Nemours, signifie ‘gouvernement par la nature’. Son livre sur La nature et les causes de la richesse des nations[9] a largement contribué à l‘instauration du libéralisme économique et politique. Il influencera l’économiste David Ricardo (1772-1823), le chef de file de l’Ecole classique anglaise pessimiste, qui reformulera sa théorie dans Des principes de l’économie politique et de l’impôts (1817) et prônait, comme Malthus d’ailleurs, un arrêt des lois aidant les pauvres ! Adam Smith a, en fait essentiellement synthétisé les idées de son époque. Son principe de réflexion est fondé sur l’adage que « ce qui est prudence dans la conduite d’un foyer, ne peut être folie dans la gestion d’une grande nation ». Il y ajoute, dans son livre de 1759 La théorie des sentiments moraux[10], une analyse approfondie les principes de la nature humaine fondée sur l’empathie. Ce qui peut sembler en contradiction avec l’idée de son premier livre où il fonde le mécanisme économique sur l’intérêt personnel : « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’il apporte à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ».

Il faut noter ici l’une de ses principales citations qu’on lui attribue dans un sens généralement très différent de son état d’esprit : « Tout pour nous et rien pour les autres, voilà la vile maxime qui paraît avoir été, dans tous les âges, celle des maîtres de l’espèce humaine ». Cette maxime est souvent présentée comme l’expression de sa vision personnelle du libéralisme, alors qu’il en dénonce clairement la vilenie et la bassesse.

Il définit ainsi les deux objectifs majeurs de l’économie politique, procurer au peuple le moyen d’obtenir revenu et subsistance et donner à l’Etat un revenu suffisant pour assurer le service public. Ses principes seront appliqués par William Pitt, le jeune, le Premier ministre de Grande Bretagne au XVIIIe siècle.

Il distingue trois grandes causes à l’enrichissement des nations, la division du travail qui augmente la productivité et qui sera symbolisée et exprimée par Charles Chaplin dans Les temps modernes, l’accumulation du capital qui conduit à l’opulence, et la taille du marché imposant le libre-échange, le laisser-faire et le laisser passer. Autrement dit l’Etat ne doit pas intervenir dans l’économie. Il faut y ajouter la métaphore de la main invisible[11] qui affirme que les marchés s’autoréguleraient et conduiraient à l’harmonie sociale. C’est-à-dire que la concurrence entre les producteurs doit mener à un bon équilibre du marché. Ces réflexions se placent naturellement dans le cadre de l’économie artisanale du XVIIIe siècle. Ce concept a été repris par l’ultra-libéral Friedman, comme nous le verrons plus loin, comme justification du capitalisme sauvage et qui a oublié ce qu‘Adam Smith avait ajouté : « Aucune société ne peut prospérer et être heureuse, dans laquelle la plus grande partie de ses membres est pauvre et misérable ».

Malgré son libéralisme, Adam Smith reconnaît l’interventionnisme justifié de l’Etat dans la vie économique pour le bien commun, pour les infrastructures et les services publics. Il se soucie de l’intérêt des travailleurs : « Des quantités égales de travail doivent être, dans tous les temps et dans tous les lieux, d’une valeur égale pour le travailleur ». Il ne néglige pas l’intérêt général en décriant les accords passés entre industriels : « Les membres d’une même industrie se rencontrent rarement par plaisir ou pour se divertir, mais leur conversation aboutit invariablement sur une conspiration contre l’intérêt général ou sur un accord pour augmenter leur prix ». Il précise encore : « Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il [l’homme] travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler. Je n’ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général aient fait beaucoup de bonnes choses ». Détail intéressant, il démontre à l’époque que le travail par le biais d’un esclave est beaucoup plus coûteux que celui d’hommes libres, et qu’il en va de même du colonialisme. Adam Smith, même s’il est  l’inventeur du libéralisme, n’est peut-être pas l’idéologue sans scrupule que l’on dénonce parfois. Ce sont plutôt ceux qui s’en réclament, comme Milton Friedman, qui méritent ce qualificatif.

 

Jacques Turgot

 

Anne, Robert, Jacques Turgot, baron de Laune (1727-1781) dans son ouvrage Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, se fait défenseur des idées du physiocrate Quesnay[12], selon laquelle, la terre est la seule source de richesse et que celle-ci doit être procurée par le travail. Turgot défend l’idée d’un impôt unique sur les productions du sol et prône la liberté totale du commerce, le libre-échange. Il sera nommé Contrôleur général, ministre de Louis XVI à qui il préconise de faire des économies dans tous les ministères et à la cour. Il supprime les dons généreux d’emplois et de pensions, ce qui déplaît à la reine Marie-Antoinette. Ces mesures sont efficaces et réduisent le déficit. On lui doit un bon nombre d’idées qui seront reprises par la Révolution française. Il a influencé Adam Smith dans la rédaction de La richesse des nations.

 

Joseph Schumpeter[13]

 

Il faut citer aussi ce grand économiste autrichien (1883-1950) qui n’a jamais fait partie de l’Ecole viennoise (Menger, Hayek, Böhm-Bawerk, Rothbard  et Von Mises) et a eu une approche originale de l’économie. Il a fondé ce que l’on appelle l’évolutionnisme économique. Il estime que la dynamique structurelle de l’économie résulte des innovations et des progrès techniques et fait la part belle aux entrepreneurs qui en sont les acteurs majeurs. L’innovation peut-être pour lui la source de la croissance, mais elle peut aussi entraîner des crises. Les innovations seraient à l’origine des cycles de Kondratieff. Rien à voir avec le néolibéralisme sauvage de Friedman que nous analyserons plus loin.

 

John Maynard Keynes[14]

 

On ne peut pas parler de l’économie du XXe siècle sans évoquer le Britannique Keynes (1883-1946). Il est le fondateur de la macroéconomie moderne qui estime que les marchés ne s’équilibrent pas naturellement. Cette conception implique un contrôle des politiques économiques qui a abouti à l’interventionnisme. Il est l’acteur majeur des Accords de Bretten Woods, ce qui nous conduit à examiner l’histoire économique récente de ce pays.

 

Petite histoire économique récente des USA

 

Rappelons que le capitalisme, qui existe depuis les débuts du développement des sociétés humaines comme en témoignent des tablettes sumériennes, peut se définir, selon I. Wallerstein[15], par « l’existence de personnes ou d’entreprises qui produisent pour vendre sur le marché afin de réaliser des profits ». Le capitalisme occidental repose aussi sur l’idée de la possibilité d’une croissance continuelle de la démographie et de l’économie, sans se poser un seul instant la possibilité de limites au système !

Pour Grou[16] la volonté de gains de productivité et de progrès social est le moteur constant de l’économie à toutes les époques, depuis la préhistoire jusqu’à l’époque actuelle. L’histoire économique moderne commence véritablement à la fin du XIXe siècle avec le développement des applications des inventions mécaniques dont certains hommes ont réussi à constituer les fers de lance de l’industrie américaine. Citons John Rockfeller et ses compagnies pétrolières, dont la Standard Oil Company (Exon-Mobil actuel), son charbon, ses fonderies, ses navires et ses banques (Chase Manhattan). Pensons encore à Henry Ford et à ses automobiles, à Morgan et à son réseau ferroviaire national, à Andrew Carnegie et à ses téléphones, puis sa compagnie de chemin de fer et la sidérurgie et à bien d’autres qui ont laissé un nom aux USA. Si elles apportaient une grande prospérité, elles comportaient encore des faiblesses grave comme le travail des enfants et des conditions très dangereuses de travail. Ces succès furent en partie dus à des gains de productivité qui passèrent de 0,3/an vers 1800, à 1,8/an à la fin du XIXe siècle. Mais ils eurent un inconvénient majeur lorsque l’offre excédant la demande entraîna une forte crise économique, déjà évoquée au chapitre précédent, qui secoua le monde occidental en 1873. Elle entraîna le passage de milliers d’agriculteurs à l’industrie, environ 8% de la population en 1870 qui passa à 33 % 50 ans plus tard. De nombreux migrants gagnèrent l’Amérique pour y trouver du travail, notamment dans l’industrie. L’expansion du commerce s’accompagna naturellement d’une recherche de marchés potentiels qui aboutirent à l’impérialisme américain. La productivité continua de progresser rapidement avec des usines de mieux en mieux organisées avec des chaînes d‘assemblage dont le modèle est celui de Ford. Ces usines de plus en plus géantes dominèrent l’économie mondiale durant tout le XXe siècle. Le capitalisme semblait triomphant, mais au niveau social, c’était la grande misère avec des conditions de vie sordides, le travail des enfants et des inégalités accrues. En raison de leur importance économique, les conglomérats de plus en plus grands étaient la priorité numéro un, celle des travailleurs considérés dans la plus totale indifférence. Si quelques chefs d’industrie tels Rockefeller et Carnegie créèrent des œuvres de bienfaisance, la majorité d’entre eux ne pensaient qu’à s’enrichir sans état d’âme.

Robert Reich cite l’interview de William Vanderbilt, le magnat du rail, sur l’opportunité de préserver une ligne de chemin de fer entre New York et New Haven parce qu’elle était utile au public, osa répondre « Le public, qu’il aille au diable ! »après quoi il ajouta : «  Je ne crois pas à cette idée stupide de travailler pour le bien de quiconque à part le nôtre, ça n’existe pas. Les chemins de fer ne reposent pas sur les bons sentiments, mais sur des principes économiques, et ils doivent être rentables ». On reconnaît là le slogan « du tout pour nous, rien pour les autres » popularisé, mais rejeté comme vil par Adam Smith.

Ces grandes entreprises réussissaient parce qu’elles réprimaient la concurrence par tous les moyens. Cet état d’esprit commença à agacer les gouvernements et la population, car les géants industriels étaient devenus les maîtres du monde américain au détriment du monde politique et ne se souciaient que de leurs bénéfices. Roosevelt les traita « d’escrocs enrichis ». Il fallait que le capitalisme soit mis au service la nation et pas à celui des dirigeants.

La même question se posait en Europe et c’est l’époque du socialisme qui prônait la nationalisation des monopoles, ou celle de Karl Marx[17] qui conseillait « la propriété collective des moyens de production »qui sera mis en œuvre par le communisme avec son cuisant échec. Une autre solution, celle du fascisme fut de mettre le contrôle de l’ensemble de l’industrie entre les mains d’un seul homme, d’un dictateur. Ces trois systèmes économiques ont été mis en pratique et c’est finalement le capitalisme qui a triomphé et survécu.

L’Amérique essaya d’améliorer son système capitaliste en réglementant les monopoles ; ce fut la première loi antitrust de 1890, le Sherman Act. Cette réglementation ne dépassait pas 15% vers 1950. Pour le reste de l‘industrie, des conseils et associations professionnelles discutèrent avec les gouvernements pour coordonner et fixer, branche par branche, les normes à respecter, établir un code de concurrence loyale et les salaires.

Les années 50 marquèrent un tournant avec l’introduction en bourse des grandes entreprises. Grâce aux dépenses publiques gigantesques, les industries profitèrent de l’augmentation des revenus et entrèrent dans une ère de consommation : voitures, maison, frigidaires, machines à laver et autres équipements firent tourner les industries à cadences accélérées. Une classe moyenne apparue. L’augmentation du niveau de vie devînt le but de la démocratie américaine. Kenneth Galbraith compris que les industries devaient remplacer le marché par la planification. Pour assurer le succès, l’innovation fit exclue et l’on se contenta de fabriquer ce que la population privilégiait.

Grâce au Wagner Act de 1935 autorisant les négociations collectives, de grands syndicats se structurèrent face aux entreprises avec des négociations et des accords sur les salaires. Tout le monde y trouvait son compte. Stabilité et efficacité de la main d’œuvre, augmentations de salaires et avantages sociaux de retraite et de santé, assurance-chômage etc…, firent de cette l’époque un capitalisme démocratique[18] un âge pas tout à fait d’or, mais de prospérité comme le souligne Reich. Ce système, d’emplois stables et bien rémunérés où 33% des salariés étaient syndiqués, assura la prospérité des industries et des ouvriers et fonctionna parfaitement jusque dans les années soixante-dix. C’est l’époque des grands industriels/hommes d‘Etat, tel Frank Abrams[19], qui avaient pris conscience de l’importance d’établir une distribution plus équitable des revenus entre tous les partenaires impliqués, des actionnaires aux salariés, jusqu’aux clients. On peut dire que l’épanouissement de la classe moyenne avec son pouvoir de promouvoir plus d’égalité fut le succès majeur du capitalisme démocratique. On parlait alors de « pluralisme de groupes d’intérêts ». Ce système avait réduit les inégalités puisque, si en 1928, 1% des personnes les plus payées s’octroyaient 19 % des revenus individuels, en 1950, ce chiffre était tombé à seulement 7%. Une loi, le Full Employement Act qui préconisait le plein emploi comme objectif de la politique économique américaine fût même votée en 1946. Cela ne veut pas dire que tout allait pour le mieux. C’est la raison pour laquelle Reich utilise le terme limitatif « d’âge pas tout à fait d’or », parce que les pauvres et les noirs étaient relégués en seconde zone et que les femmes étaient mal considérées dans les hautes sphères industrielles.

Vers 1950-1960, les Etats-Unis décidèrent d’étendre le capitalisme américain au reste du monde pour lutter notamment contre le communisme. Ce fut une grande réussite. Les concurrences entre le capitalisme démocratique américain et le communisme soviétique furent une source de développements réciproques. En particulier cela favorisa le développement de la recherche et de l’espace. Mais cette époque fut aussi marquée par des bévues, notamment celles de la CIA avec ses opérations parfois discutables au Nicaragua, en Iran et au Vietnam, épaulées par Joseph McCarthy qui compromis la démocratie américaine par ses phobies communistes…

Le presqu’âge d’or dura jusqu’à la fin des années 1970 où le capitalisme démocratique fût remplacé par ce que Reich appelle le supercapitalisme.[20] On désigne cette évolution du capitalisme par de nombreuses expressions comme capitalisme patrimonial, capitalisme financier ou capitalisme néolibéral, ou tout simplement néolibéralisme plus ou moins sauvage. J’utiliserai le terme de supercapitalisme qui me paraît exprimer davantage les excès de ce libéralisme du libre-échange.

 

Le supercapitalisme, un capitalisme du désastre !

 

Les travaux de Naomi Klein et de bien d’autres ont mis en évidence l’origine et le développement de cette nouvelle forme de capitalisme sauvage qu’elle appelle, le capitalisme du désastre.

 

Le théoricien, Milton Friedman

 

L’origine du nouveau capitalisme est dûe à l’universitaire Milton Friedman (1912-2006). Cet économiste, fils d’une famille pauvre d’origine hongroise, qui a reçu le prix Nobel d’économie en 1976 a été, non seulement un défenseur acharné du libéralisme, mais aussi le fondateur, avec George Stigler, de l’Ecole monétariste de Chicago dont les théories des Chicago boys ont établi l’idéologie du néolibéralisme actuel. Keynésien au départ, Friedman clame ensuite que Keynes a tout faux. Ses idées opposées au New Deal et à l’Etat-Providence font leur chemin.

On lui doit en 1977 une émission de télévision « Free to choose » qui deviendra un livre à succès en 1980. Sa grande thèse est que la liberté économique est une des conditions nécessaires à la liberté politique et à une démocratie durable d’où son apologie du libéralisme.

 

La théorie friedmanienne

 

Ses idées monétaristes, qui estiment que les variations de la masse monétaire provoquent des fluctuations de l’activité économique selon un modèle d’oscillations cycliques, remplacent celle de Keynes dans les années 70. Son modèle est donc celui de l’instauration d’un taux constant de croissance de la masse monétaire. Il a développé une théorie du revenu permanent, l’idée d’un taux de chômage naturel et rejeté les politiques de relance causes, selon lui, de l’inflation, un phénomène monétaire qui constitue une véritable drogue économique. Cette idée lui vient de l’analyse de la Grande Dépression de 1929 : il estime que la cause en a été essentiellement la mauvaise gestion de la monnaie.

Le capitalisme de marché qui doit s’accompagner d’un marché libre, d’une réduction des réglementations économiques, mais aussi des budgets sociaux, ce que préconisaient déjà Malthus et Ricardo. Il reprend à son compte la métaphore d’Adam Smith de « la main invisible du marché » pour justifier l’autorégulation du marché. Pour Friedman, la main invisible serait créée par l’interaction, d’une part par la compétition, l’intérêt personnel et d’autre part, par le rapport de l’offre et la demande. On doit adopter le « Laissez-faire » pour le marché ! Il est l’un des co-fondateurs de la Société du Mont Pèlerin avec l’Autrichien, Friedrich Hayek, l’un des autres maîtres à penser du néolibéralisme. Cette thèse néolibérale est devenue la ’pensée unique’ du nouveau système financier néolibéral, sous le nom de « Consensus de Washington », dont nous évoquerons plus loin les applications par la Banque mondiale et le FMI[21].

 

La stratégie du choc, fer de lance du capitalisme du désastre

 

Cette stratégie a été décryptée par Naomi Klein dans un livre portant ce nom[22]. De quoi s’agit-il ? Pour Friedman et ses disciples, une société ne peut entreprendre de grands changements de structure, d’économie et de comportement qu’à l’occasion de crises brutales et violentes pour la population. C’est ce qu’il appelait un « traitement de choc » que Klein a élevé au rang plus exact de stratégie. L’exemple cité par cet auteur est celui de La Nouvelle-Orléans en Louisiane, dévastée par l’ouragan Katrina le 29 août 2005 qui a inondé 80% de la ville. Friedman a recommandé de profiter de cette occasion pour restructurer le système éducatif. Il a suggéré de transformer les écoles de La Nouvelle-Orléans en ‘écoles à chartes’, correspondant à des écoles, toujours subventionnées par l’Etat, mais dirigées par des entreprises privées imposant leurs propres règles. Comme le signalait le groupe de réflexion de l’American Enterprise Institute : « Katrina a accompli en un jour […] ce que les réformateurs du système d’éducation ont été impuissants à faire malgré des années de travail ». La stratégie est claire. Il faut profiter des cataclysmes naturels, de toutes les formes de crises, de désastres et aussi des guerres pour imposer le nouveau système.

Friedman a commencé à exploiter sa stratégie de « la révolution de l’école de Chicago » avec Pinochet au Chili, comme nous l’avons déjà évoqué, dans les années soixante-dix, en lui recommandant, de transformer l’économie avec la libéralisation et la déréglementation des échanges, la privatisation des services publics et surtout la baisse des dépenses sociales et la réduction des impôts. C’est ainsi que les écoles publiques ont été remplacées par des écoles privées.

Cette stratégie de privatisation, libre-échange sans borne, réduction de l’appareil d’Etat fut aussi mise en œuvre après les attentats du 11 septembre à New York, à l’occasion de la guerre en Irak avec la doctrine militaire du « choc et effroi ». Il en fut de même au Sri Lanka après le tsunami de 2004 où les pécheurs furent chassés de la côte pour laisser la place aux investisseurs de stations balnéaires de luxe. Cette méthode fut aussi mise en œuvre par Margaret Thatcher, la « Dame de fer », grande admiratrice de Friedman. L’occasion de la guerre des Malouines en 1982, lui a permis de réprimer la grande grève des mineurs de charbon (1984-1985) et d’engager une vaste opération de privatisations, dont celles des chemins de fer (British Steel Rail) qui fût achevée par John Major, celle de l’aviation (British Airways) et celle de la médecine, le tout accompagné d’un affaiblissement des syndicats. Selon le journal The Economist sa politique fit passer le nombre des familles vivants en dessous du seuil de pauvreté de 8% en 1979 à 22% en 1990. Et les inégalités sociales se sont fortement creusées. On peut donc redire que la stratégie du choc profite des désastres naturels ou de la guerre pour imposer les nouvelles vues du libéralisme économique, pour libérer le marché des ingérences étatiques, remplacer les services publics par la privatisation et réduire les dépenses sociales.

 

La mondialisation correspond à un changement d’échelle dans tous les domaines exprimant la fractalité du système économique

 

Comme le fait remarquer justement Reich, les marchés deviennent de plus en plus concurrentiels et le pouvoir passe aux investisseurs et aux consommateurs de plus en plus exigeants sur leurs placements, grâce notamment aux nouvelles technologies de l’information provenant pour la plupart de la Silicon Valley pour la NASA et le Pentagone.

 

La mondialisation en marche

 

Cette nouvelle structure du marché s’est étendue grâce à la mondialisation. Désormais les prix n’étaient plus fixés par les grandes entreprises, mais par la concurrence, ce qui diminuait le risque d’inflation. Et le nouveau slogan devint : le prix le plus bas. La conséquence fut la réduction des salaires et des coûts de production. Les pays occidentaux se sont couverts d’ordinateurs et de logiciels qui ont réduit les coûts et créé un cybermonde, selon l’expression de Daniel Cohen[23]. Les entreprises ont réclamé la dérégulation des marchés pour profiter et résister à la concurrence devenue plus intense. On est ainsi passé du capitalisme démocratique à un capitalisme beaucoup plus sauvage, le supercapitalisme, si sauvage qu’il exploite même les catastrophes naturelles et sociales, sans aucun scrupule.

Il faut y ajouter le développement de nouveaux moyens de transport notamment avec des conteneurs, qui permettent de grouper, compacter les envois et faciliter les transports par camions, trains, navires cargos ou avions. Le coût du transport s’est effondré à l’avantage évident des transporteurs, mais aussi des consommateurs. Les systèmes de production se modifièrent, puisque les nouvelles technologies permettaient de trouver à l’étranger des composants et des mains-d’œuvre moins chers.

De ce fait de nombreuses grandes entreprises disparaissent avec leurs valeurs sociales et leurs syndicats qui défendaient les salariés et leurs avantages sociaux. Mais beaucoup de nouvelles entreprises se créent, notamment dans le domaine du numérique, ce qui effaça rapidement les frontières entre les divers secteurs d’activités. Les finances et la distribution des produits explosèrent avec la création de sociétés mondialisées, comme Amazon, iTunes, etc…

Comme l’a souligné Pierre Grou[24], la mondialisation est un phénomène qui s’est répété à plusieurs époques.

La première mondialisation est celle de la conquête du monde par Homo sapiens à partir de son berceau africain[25]. Cette conquête s’est étendue, étape par étape à toute la planète. Une première migration vers -100.000 ans a atteint le Moyen-Orient, mais ne semble pas avoir eue plus d’extension. Une deuxième, vers -60.000 ans, a permis aux hommes modernes de gagner le Caucase, l’Eurasie, la Sibérie, l’Inde et la Chine. De là, les hommes ont colonisé l’Amérique vers -20.000 et -13.000 ans et enfin les îles du Pacifique il y a seulement 1.000 ans. L’Europe a été colonisée, il y a environ -45.000 ans.

La deuxième mondialisation est celle qui aboutit au développement des transports maritimes avec les grandes découvertes qui ont permis aux occidentaux de faire fructifier le commerce en échangeant des produits du monde entier et qui s’est concrétisée ensuite par les colonisations.

La troisième mondialisation est celle de l’économie industrielle qui débouche sur un épuisement des ressources naturelles. Nous introduirons par un encadré de Pierre Grou[26] sur la naissance et le développement de ce phénomène capital pour la compréhension de notre propos.

 

La naissance de la mondialisation économique

 

En début de XXIe siècle, la définition du phénomène de mondialisation économique est généralement présentée de manière très vague. S’agit-il de commerce mondial, de relations mondiales, d’information mondiale, de déplacements mondiaux ?

Pour nous l’origine du processus date du début des années 1970, et s’est caractérisée par une cause immédiate, celle d’une montée en puissance des firmes multinationales. La multinationalisation d’une firme signifie que celle-ci installe au moins une filiale de production hors de son pays d’origine. Le nombre de ces firmes, qui était de l’ordre de quelques milliers au milieu du XXe siècle, a doublé entre 1967 et 1973, passant de 6.000 à 13.000 entre les deux dates. Ces statistiques proviennent du Centre de l’Organisation des Nations Unies sur les multinationales situé alors à New York. Le phénomène a eu pour résultat général une interpénétration des processus productifs des pays industrialisés.

Pendant les années 1970, cette nouvelle situation a été appelée « multinationalisation de la production ». Mais, à partir des années 1980, c’est le terme de « mondialisation économique » qui s’est imposé, accompagné d’autres termes voisins, comme ceux d’ « économie mondiale », de « marché mondial », ou « d’espace mondial », parfois de « globalisation ». Cette croissance du nombre des firmes multinationales s’est poursuivie, pour tendre vers le chiffre d’environ 100.000 au début du XXIe siècle.

Quelles sont les causes de l’apparition de la mondialisation économique ? Pour nous ce phénomène s’explique par la mise en place d’une nouvelle étape d’un développement des firmes, de nature structurelle et à l’œuvre depuis la révolution industrielle.

Cette dynamique est un enchaînement de trois éléments, liés entre eux, qui sont : le niveau de technologie, la taille du capital, et les besoins de débouchés. En revenant au paysage économique créé au XVIIIe siècle par la révolution industrielle, il apparaît que le niveau technologique était relativement peu élevé - par exemple, celui des métiers à tisser individuels dans le textile -  et que la taille du capital investi dans ces premières entreprises était relativement faible. L’espace des débouchés nécessaires à la rentabilisation du captal investi était donc également restreint, de nature régionale ou nationale. La contrainte d’un espace de débouchés moyen n’exclut pas, bien au contraire, un expansionnisme politico-marchand, dépassant de manière nette le cadre de référence moyen. Ainsi, l’expansionnisme politico-marchand européen a dépassé très tôt le cadre national - exemples hollandais, portugais, espagnol, britannique et français - avant le XIXe siècle.

Le XIXe siècle, qui fut celui de l’essor de la métallurgie,permet de se rendre compte que le niveau de technologie nécessaire à la production d’acier de rails, de locomotives était plus élevé qu’auparavant, que le capital investi dans ces productions était plus important, et que l’espace des débouchés dont la rentabilisation du capital investi a besoin,était aussi plus grand : celui-ci dépassait, à l’évidence, la dimension d’un espace économique national. Le phénomène d’exportation a pris de plus en plus d’importance et permet d’expliquer l’expansion des empires coloniaux. Au début du XXe siècle, là encore, un niveau de technologie plus élevé est apparu, ainsi qu’un besoin de capitaux plus grand – phénomène de concentration industrielle -, ainsi qu’un espace de débouchés indispensables à la rentabilisation encore plus vaste. De nouveaux espaces d’exportation - de nature continentale - sont devenus nécessaires, et ce besoin a entraîné des guerres mondiales, par exemple pour le contrôle de l’espace de l’Europe lors de la première Guerre mondiale, et de l’Europe et de l’Asie lors de la Seconde Guerre mondiale.

À la fin du XXe siècle, se produit une révolution technologique dont le niveau est encore plus élevé que les précédentes révolutions ; il s’agit, entre autres, de l’essor des technologies de l’information, qui sont très coûteuses en frais de recherche ; la taille du capital investi est donc plus importante et les besoins de débouchés plus vastes.

Or, il arrive un moment où le niveau d’exportations ne peut plus s’élever car il devient alors plus rentable pour l’entreprise d’aller s’installer sur le lieu de destination. Cette étape a été atteinte vers 1970 dans le monde industrialisé. C’est pourquoi un mouvement irrésistible de multinationalisation des firmes industrielles s’est produit, processus appelé plus tard « mondialisation ». Le changement observé, dû à une révolution technologique, s’est effectué dans une crise économique, celle des années 1970-1980. La mondialisation s’est imposée comme incontournable. Elle a parfois entraîné sur le plan politique une attitude dite « antimondialisation ». Une telle réaction peut être comparée au mouvement anarchiste de la fin du XIXe siècle qui combattait l’existence des grandes entreprises industrielles, et prônait un retour à l’époque de la petite entreprise. De même en début de XXIe siècle, on parle de déglobalisation ou de démondialisation[27]. Or pour nous, il s’agit d’unphénomène irréversible. En revanche, rien ne s’oppose à une conception différente de la mondialisation économique ; conception qui retirerait son pouvoir à l’oligarchie mondialisée.                                        Pierre Grou

 

L’expression de la mondialisation économique : les mastodontes de la dérégulation et des délocalisations

 

Les entreprises industrielles et la finance ont été les acteurs évidents de la mondialisation économique. L’une des conséquences de cette mondialisation a été l’accroissement de la taille des entreprises industrielles et des banques. Les plus grandes entreprises ont racheté et absorbé les plus petites qui pouvaient leur faire concurrence et avaient des compétences certaines et des brevets intéressants. D’achats en achats, d’extension en extension, tous les types d’entreprises sont devenues des mastodontes.Leur puissance est devenue telle, qu’elles ont pris le pouvoir sur les Etats et la politique, en pratiquant des chantages à l’emploi. En particulier, les banques ont réussi un exploit dans les années 1970, celui de faire abroger toutes les régulations qui avaient été mises en place après le krach de 1929 (Glass-Steagall Act, Accords de Bretten-woods) pour obtenir un libre-échange sans limites et l’application du « Tout pour nous, rien pour les autres  et la « toute puissance de l’argent à court terme »

Le bilan de cette stratégie de la mondialisation qui a remplacé l’intérêt du service public par celui de la privatisation qui permet l’accroissement des bénéfices des entreprises et de leurs dirigeants est malheureusement bien connu. C’est la multiplication des délocalisations pour produire dans les pays à main-d’œuvre moins chère et à charges réduites, avec deux conséquences graves, une à court terme qui est celle de la destruction d’emplois[28] et donc une forte augmentation du chômage dans les pays développés. Elle se complète par une diminution des salaires des employés qui ont conservé des emplois et la réduction du rôle des syndicats.

L’autre conséquence, à long terme, que l’on ne perçoit que maintenant à grande échelle, ladésindustrialisationde certains pays occidentaux comme les USA, l’Angleterre et la France[29], à la différence de l’Allemagne et du Japon qui ont su résister grâce à des ententes entre Etats, entreprises et syndicats et avec des projets à long terme. Comme le montrent Artus et Virard, il s’agit d’une méprise de certains milieux qui ont cru qu’il fallait laisser l’industrie aux pays émergents et se réserver seulement les services et les nouvelles technologies. Ces pays désindustrialisés vont ainsi vers un déclin inévitable à cause de la chute du commerce extérieur très déficitaire. Reich a montré que ce déclin vient également du fait que les entreprises ont fait le choix de la mondialisation contre leur propre Etat, en faisant réduire les charges sociales pour la population.

Comme l’a expliqué Daniel Cohen[30], la mondialisation économique ne touche pas les personnes qui sont en relations personnelles directes avec leurs clients (Ami à amis : F2F[31]) et restent ainsi dans le schéma économique traditionnel comme les médecins, les coiffeurs et les artisans… Par contre tous ceux qui conçoivent les biens du futur, donc les innovations impliquant les nouvelles technologies de l’information, sont plongés d’emblée dans la mondialisation. Les rémunérations ne sont plus alors liées au temps de travail réalisé, mais à la célébrité acquise dans le domaine considéré. Et surtout, les rémunérations prennent en compte les parts de marché qu’elles peuvent permettre de capter et donc des rendements croissants qu’elles peuvent apporter à la société qui l’emploie. Cette révolution de type star-system est la règle dans le cybermonde. En effet, c’est surtout la conception qui coûte cher. La construction du matériel et sa commercialisation ont été déplacées là où les coûts sont les plus réduits. Cohen[32] rappelle que si Renault fabriquait dans les années cinquante, environ 80% de ses voitures, de nos jours, la société n’en construit plus que 20%, laissant le reste aux sous-traitants souvent délocalisés. C’est ainsi que l’usine Renault de Guyancourt conçoit le premier modèle qui sera cloné ailleurs. Il en est de même pour la fabrication des médicaments où tout repose sur la molécule à découvrir ; les prix de fabrications des médicaments étant réduits, comme le montrent les prix des génériques.

Dans ce nouveau monde, la recherche et le développement (R & D) jouent un rôle essentiel. La Silicon Valley et les Universités américaines en sont les exemples bien connus dans le domaine des nouvelles technologies. Le même système s’applique aussi à la finance dominée par Wall Street, à celui de la culture avec d’une part le cinéma d’Hollywood et au monde du livre qui produit 40% de nos lectures européennes, sans oublier le Pentagone en matière de défense militaire. Selon Cohen, cette évolution résulte du fait que les émigrants qui ont construit les USA ont pris dans leurs valises la philosophie des Lumières. Dans le cadre de la mondialisation il y a donc une concurrence entre les USA et le reste du monde, l’Europe étant manifestement à la traîne dans tous les domaines, à l’exception de l’industrie pharmaceutique.

L’accélération de l’évolution économique

 

L’une des grandes caractéristiques de l’histoire économique mise en évidence par Grou, est celle d’une accélération technologique et économique[33] qui s’est développée depuis les débuts de l’homme moderne. Pierre Grou nous en explique sa mise en œuvre.

Ce processus résulte d’un accroissement de plus en plus rapide de l’appropriation de la nature par les êtres humains. Mais il conduit à une limite - ou singularité - qu’il convient de prévoir et de bien analyser.

Une hausse des taux de croissance économique signifie un processus d’appropriation de la nature plus important et, si l’on se réfère aux taux de croissance estimés, puis mesurés de l’histoire humaine, on peut constater qu’ils ont été en moyenne inférieurs à 1%, de la préhistoire jusqu’à la révolution industrielle. Ensuite ils sont passés en moyenne de 1 à 2 %, dans les pays industrialisés pendant le XIXe siècle. Plus tard ils ont atteint 3 à 4% en moyenne encore dans les pays industrialisés pendant la période dite des « Trente Glorieuses »pour atteindre enfin de 5 à 6% en moyenne mondiale au début du XXIe siècle. Comme la hausse des taux de croissance s’effectue de plus en plus rapidement, il en résulte un phénomène d’accélération  économique. Tout phénomène d’accélération ne peut se poursuivre sans fin, bien qu’abstraitement il puisse tendre vers l’infini. Mais s’il s’agit d’un processus réel, il existe toujours une limite. Le mathématicien Von Neumann (1903-1957) a perçu assez tôt la réalité de l’accélération économique des sociétés humaines, et il a écrit que « le progrès toujours accéléré de la technologie et les changements dans les modes de vue donnent à penser que nous approchons d’une singularité essentielle dans l’histoire de l’espèce, au-delà de laquelle les affaires humaines telles que nous les connaissons ne pourront pas continuer ». D’autres auteurs ont eu l’intuition de cette dynamique propre à l’humanité et un petit nombre a calculé une date limite d’aboutissement du processus d’accélération. Le résultat commun se situe dans la seconde moitié du XXIe siècle, soit vers 2050[34], soit vers 2080[35] en utilisant un autre mode de calcul.

Pierre Grou

 

Retenons de ce chapitre que la mise en œuvre du supercapitalisme définie par l’Ecole de Chicago de Milton Friedman, profite sans scrupule des catastrophes naturelles, des attentats, des coups d’état ou des guerres pour s’imposer en remplaçant les services publics par le privé et réduisant les budgets sociaux et aggravant le chômage. La mondialisation est un phénomène irréversible qui a permis aux entreprises et à la finance de devenir des mastodontes qui ont pris le pas sur les Etats et les politiques. Ils ont imposé, par des chantages à l’emploi, les dérégulations financières imposées après le krach de 1929. L’une des premières a été l’annulation du Glass-Steagall Act qui séparait les banques de dépôts des banques d’investissement. La fusion des deux fonctions a mené directement aux krachs récents. Ensuite, sous le prétexte de la concurrence, les transferts internationaux de capitaux et de marchandises ont été autorisés pour aboutir à une liberté totale d’action sans contrôle réel, le libre-échange intégral. Le but, faire croître les revenus des plus riches au détriment des autres… L’économie évolue par une accélération que chacun constate à son niveau, mais qui a une limite. D’après plusieurs calculs, cette singularité se situerait vers 2050 ou 2080 ± 30. Elle est donc très proche !

Voyons maintenant les autres conséquences de l’instauration du supercapitalisme.

 

 



[1] Klein, N. 2008. La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre. Paris, Léméac/Actes Sud.

[2] George, S. 2001. ATTAC, Remettre l’OMC à sa place. Paris, Mille et Une Nuits.

George, S. & Wolf, M.  2002. La mondialisation libérale. Paris, Grasset.

George, S. 2004. Un autre monde possible, si… Paris, Fayard.

George, S. 2007. La pensée enchaînée. Comment les droites laïque et religieuse se sont emparées de l’Amérique. Paris, Fayard.

[3] Reich, R. 2008. Supercapitalisme. Le choc entre le système économique émergent et la démocratie. Paris, Vuibert.

[4] Stiglitz, J.E. 2002. La Grande Désillusion. Paris, Fayard.

 Stiglitz, J.E. 2010. Le triomphe de la cupidité. Paris, Les liens qui Libèrent.

[5] Morin, E. 2011. La Voie. Pour l’avenir de l’humanité. Paris, Fayard.

[6] Cohen, D. 2009. La prospérité du vice. Une introduction (inquiète) à l’économie. Paris, Albin Michel.

[7]   Grou, P. 2005. Impératif technologique ou déclin économique ? L’Harmattan, Paris, Questions contemporaines.

 Grou, P. 2007. Mondialisation économique et perspective d'un temps critique en fin du XXIe siècle : aboutissement d'une première période de l'humanité ? In : Les grands défis technologiques et scientifiques au XXIe siècle, Bourgeois, P. & Grou,P, eds. Paris, Ellipses.

 Grou, P. 2009. Relativité d’échelle et sciences humaines. In : Nottale, L., Chaline, J. & Grou, P. 2009. Des fleurs pour Schrödinger. La relativité d’échelle et ses applications. Paris, Ellipses.

 Grou, P. 2010. L’argent obscurantisme du XXIe siècle. Paris, Bruno Leprince.

[8] Askenazy, P. et al. Manifeste d’économistes atterés : crise et dettes en Europe : 10 fausses évidences, 22 mesures en débat pour sortir de l’impasse. Paris, Les liens qui libèrent.

[9] Smith, A. 1776. An Inquiry into the Nature and Causes odf the Wealth of Nations. London, Starkan, W & Cadeli, T.

[10] Smith, A. 1759. The Theory of Moral Sentiments. Glasgow.

[11] Reprise par Adam Smith de la Fable des abeilles, vices privés, vertus publiques de Bernard Mandeville publiée en 1705 qui conclut que « Le vice est aussi nécessaire dans un Etat florissant que la faim est nécessaire pour nous obliger à manger. Il est impossible que la vertu, seule, rende jamais une nation célèbre et glorieuses ».

[12] La physiocratie est à l’origine de l’économie moderne.

[13] Schumpeter, J. 1911. Théorie de l’évolution économique. Recherche sur le profit, le crédit, l’intérêt et le cycle de conjoncture. Berlin, Dunckert & Humblot.(Traduction française de 1935. Paris, Dalloz).

[14] Keynes, J.M. 1936. Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Cambridge Univ. Press.

[15] Wallerstein, I. 2009. Comprendre le monde. Introduction à l’analyse des systèmes-monde. Paris, La Découverte.

[16] Nottale, Chaline & Grou. 2000. Les arbres de l’évolution. Paris, Hachette, et  Grou, P. 2010. L’argent, obscurantisme du XXIe siècle. Bruno Leprince.

[17] Marx, K. 1867. Le Capital. Critique de l’économie politique. Hambourg, Otto Meissner.

[18] Reich, op. cit.

[19] dirigeant de la Standard Oil of New Jersey.

[20] Reich, op. cit.

[21] Pagé, J.-P. 2009. Penser l’après-crise. Tout est à reconstruire. Paris, Autrement Frontières.

[22] Klein, N. 2008. La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre. Paris, Léméac/Actes Sud.

[23] Cohen, D. 2009. La prospérité du vice. Une introduction (inquiète) à l’économie. Paris, Albin Michel.

[24] Grou, P. 2010. L’argent, obscurantisme du XXIe siècle. Paris, Bruno Leprince.

[25] Chaline, J. & Marchand, D. 2010. Le singe, l’embryon et l’homme. Une nouvelle clé de lecture de l’histoire de l’homme. Paris, Ellipses.

[26] Grou, P. 2010. Op. cit.

[27]         Bello, W. 2002. Deglobalization : Ideas for a New World Economy. London, New York, Zed Books.

[28] Selon Patrick Artus et Marie-Paule Virard (2008), la France a perdu 2 millions d’emplois entre 1980 et 2007 : Globalisation, le pire est à venir, Paris, la découverte. Voir aussi : Artus, P. et Virard, M.-P.  2011. La France sans ses usines. Paris, Fayard.

[29] Artus, P. & Virard, M.-P. 2011. La France sans ses usines. Paris, Fayard.

[30] Cohen, D. 2009. La prospérité du vice. Une introduction (inquiète) à l’économie. Paris, Albin Michel, op. cit.

[31] Les réseaux F2F (Friend to friend) sont des réseaux anonymes fonctionnant en communautés fermées.

[32] Cohen, D. 2006. Trois leçons sur la société postindustrielle. Paris, Le Seuil.

[33]  Grou, P. 1987. L'aventure économique. L'Harmattan, Paris.

[34] Johansen, A. & Sornette, D. 2001. Finite-time singularity of the world population economic and finacial indices. Physica A, 294 : 465-502.

[35] Nottale, L., Chaline, J. & Grou, P. 2000. Les arbres de l’évolution. Paris, Hachette Littérature.

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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 17:37

 

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Attendez-vous à savoir que l’économie se dirige vers un temps critique très proche…

 

L’évolution économique est un grand phénomène de société qu’il ne faut pas mettre sur le même plan que celui de la bourse. En effet, l’économie peut se passer de la bourse qui n’est qu’un de ses outils. La bourse est en effet une institution publique ou privée qui permet de réaliser des échanges et de fixer les prix des entreprises et des marchandises. Les échanges étaient réalisés à Paris au XIIe siècle par des courtiers de change qui se réunissaient sur l’actuel Pont au Change. Les échanges étaient aussi pratiqués par les banquiers Lombards qui échangeaient à Florence, ou ailleurs, des créances d’Etat. Le premier établissement boursier créé fut celui de Bruges en Flandre en 1409, ensuite celui d‘Anvers, puis de Lyon en 1540, celui de Paris seulement en 1724 et la bourse de Londres (London Stock Exchange) en 1801. Pendant ce temps, même sans bourses, l’économie fonctionnait.

Les fluctuations de la bourse ont fait l’objet de nombreuses recherches mathématiques. Les mathématiciens et les statisticiens ont essayé d’analyser les fluctuations de l’économie et d’en préciser les lois éventuelles en vue de pouvoir faire des prévisions sur son évolution. En fait, ces travaux ne concernaient qu’une partie de l’économie, son seul aspect financier, exprimé au travers des fluctuations de la bourse. Ils essayaient surtout d’analyser les risques dans les marchés financiers afin d’en tirer des bénéfices. Leurs premières analyses utilisaient des outils mathématiques linéaires qui ne rendaient absolument pas compte dans le détail de ces fluctuations, car en plus ils « lissaient », c’est-à-dire qu’ils effaçaient les fluctuations parasites des courbes.

 

La recherche de méthodes

 

Les variations de la bourse ont été analysées par Louis Bachelier, le précurseur de la théorie des probabilités. Dès 1900 dans un travail consacré à la spéculation[1], il développait des mathématiques financières modernes. Il intégrait des variables comme la rentabilité d’un actif à une date donnée, l’espérance de volatilité, une mesure de la dispersion potentielle des rentabilités boursières, dans un mouvement brownien. Expliquons nous. Le mouvement brownien a été décrit en 1827 par Robert Brown en observant des grains de pollens disposés sur l’eau. Les mouvements désordonnés de ces grains de pollen sont causés par les mouvements des molécules d’eau qui s’entrechoquent dans un mouvement aléatoire (Fig. 9). On a transposé ce mouvement du hasard à dans les modèles de mathématiques financières en estimant que la valeur des actions résultait des variations causées par les ordres d’achat et de vente. Ces travaux ont été mis en œuvre en 1973, dans le modèle mathématique du marché de Black-Scholes[2] jusqu’au krach boursier de 1998.

 

Fig. 9. Le mouvement brownien d’une particule. Une particule se déplace de façon aléatoire dans toutes les directions par des sauts d’amplitude réduite.

 

Dans les années trente, on doit à Ralph Nelson Elliott[3] d’avoir compris la véritable logique[4] des diagrammes financiers. Pour lui les processus socioéconomiques suivaient une loi qui les conduit à se répéter eux-mêmes dans des séries auto-similaires. Il avait ainsi comparé les fluctuations financières aux variations des marées, avec les vagues boursières et les reflux d’ampleurs relatives en fonction de la puissance de la marée et avec toute la hiérarchie des vaguelettes, puis des vagues normales, pour aboutir aux tsunamis. Cette description du marché boursier est typiquement celle d’une structuration fractaleavec des fluctuations auto-similaires dont les amplitudes varient aux diverses échelles. Son principe des vagues a été introduit à Wall Street entre 1950 et 1960. Il correspond à ce que l’on a appelé la théorie rationnelle de la fixation des prix du capital. N’enseignait-on pas aux étudiants des business school que la probabilité d’un krach en 1998 était de 1 sur 20 millions !

Mais, c’est à Benoît Mandelbrot que l’on doit, dans les années soixante, les travaux majeurs sur les cours de la bourse[5], notamment sur les cours du coton entre 1815 et 1958. Les diagrammes de l’évolution des actions, ou des indices, sont très caractéristiques avec des fluctuations continues en dents-de-scie irrégulières, qui montent ou qui descendent. Ces diagrammes d’auto-similarité ont été utilisés par Mandelbrot pour affiner son concept de fractal présenté au chapitre 3. En effet, chaque partie du diagramme est une image du diagramme général à une plus grande échelle temporelle, comme la branche est une image en réduction de l’arbre. Autrement dit, il montra l’existence d’une auto-similarité dans les courbes en analysant ces courbes sur plusieurs échelles de temps. Tenant compte de ce rapport entre les diverses échelles, il en tira la conclusion qu’une étude à court terme permet de faire des prédictions à long terme, puisqu’il y a auto-similarité. Pour intégrer les krachs boursiers dans son étude, il eut l’idée d’utiliser les courbes avec des ruptures brutales auto-similaires qui avaient été décrites par Paul Lévy[6].

Le progrès suivant est dû à Sornette, Johansen et Bouchaud[7] pour avoir montré en 1996 que les variations de « l’indice Standard & Poor’s 500[8] » de la Bourse de New-York suivaient des lois de type log-périodique d’accélération et de décélération (Fig. 10). Ces lois présentaient d’ailleurs de nombreuses similarités avec les ‘vagues d’Elliott’. C’est pourquoi leur utilisation a permis de mieux modéliser les variations de la bourse et de constater que le lissage de la courbe selon la loi linéaire classique atténue les variations brutales de cet indice et fausse la compréhension du phénomène.

 

L’évolution de la bourse et les krachs[9]

 

L’évolution de la bourse n’est pas une suite monotone de variations régulières car, comme nous l’avons déjà dit, il s’agit d’un phénomène de type critique qui peut subir des variations brusques de fortes amplitudes, notamment les ruptures des chutes, les krachs. Revenons donc à l’indice Standard & Poor’s 500.

 

L’indice Standard & Poor’s 500 de New York

 

Les variations de « l’indice Standard & Poor’s 500 » de la Bourse de New-York ont été analysées entre juillet 1985 et août 1988, période coupée par un krach en octobre 1987 (Fig. 10). La courbe avant le krach présente quatre oscillations bien identifiées s’alignant sur la courbe log-périodique d’accélération (Fig. 10a). L’analyse du comportement de l'indice boursier américain S & P 500 après le krach d'octobre 1987 (Fig. 10b) montre une chute brutale avec des reprises courtes. Cette étude a permis permet aux auteurs de conclure à l’existence de motifs précurseurs, ainsi que des oscillations de relaxation et des signatures de répliques après le krach. Ces caractéristiques suggèrent que ce krach peut être estimé comme une sorte de point critique dynamique, possédant des signatures spécifiques log-périodiques, comme Sornette et Sammis l’avaient précédemment décrit pour les tremblements de terre en 1995. Ces observations ont été confirmées par l’analyse d'autres krachs plus petits et ont renforcé l’idée d’un concept d'un marché mondialvu comme un exemple de système auto-organisé complexe.

De nouveaux travaux de Johansen et Sornette en 2001 ont montré que l’évolution du Dow Jones (données de 1790 à 2000) suivait également une loi log-périodique. Une synthèse de Sornette en 2002[10] a étendu les champs des recherches à l’ensemble des données boursières qui confirment clairement ce scénario. On ne peut donc plus ignorer l’utilisation des lois log-périodiques pour l’étude de ces phénomènes critiques complexes.

 

 

Fig. 10. Les variations de l’indice S & P 500 de la Bourse de New-York entre juillet 1985 et 1987 après le krach. (a) entre 1985 et 1987 avant le krach. La figure montre que les fluctuations de cet indice suivent une courbe log-périodique d’accélération avec des motifs précurseurs ; (b)après le krach de fin octobre 1987. On constate que les courbes de lissage classique ne rendent absolument pas compte de ces fluctuations en masquant les ruptures (d’après Sornette, Johansen et Bouchaud, 1996).

 

L’évolution de l’indice Nikkei et les prédictions sur 5 ans

 

Johansen et Sornette ont, en 1999, analysé l’évolution de l’indice Nikkei[11] de 1990 à 2001. Ils ont montré que les traders et leurs fonctionnements de moutons de Panurge conduisaient à façonner des bulles spéculatives avec des surévaluations accélérées des possibilités du marché financier. Elles se traduisaient inévitablement par des bulles conduisant à des krachs boursiers et étaient suivies par des anti-bulles de dévaluation décélérée du marché suivant toujours les pics.

La figure 11 montre l’évolution du logarithme de l’indice Nikkei entre janvier 1990 et 1998 et celle de l’indice entre 1998 et février 2001, comparée avec la courbe non linéaire log-périodique qui se plaque parfaitement sur les fluctuations de l’indice. On constate, que les variations réelles de l’indice Nikkei, observées ultérieurement entre 1998 et 2001, se logent bien à l’emplacement prévu dans la courbe prédite en 1998… La correspondance des deux est étonnante et montre la crédibilité de la méthode d’étude pour effectuer des prédictions.

L’avantage de cette utilisation de la loi log-périodique réside dans le fait qu’elle permet de faire des prédictions probabilistes de l’évolution de ces systèmes financiers très complexes et d’évaluer les événements critiques[12]… Il est évident qu’avec ces nouveaux outils de modélisation, on peut entrer dans une véritable « physique économique »qui devrait permettre de faire des prévisions probabilistes. Ce qui risque en retour d’influencer l’évolution du système d’une façon imprévisible…

 

 

Fig. 11. L’évolution du logarithme de l’indice Nikkei entre janvier 1990 et février 2001. Les données du Nikkei sont séparées en deux parties. Les points correspondent aux données utilisées pour calculer la courbe avec la prédiction d’au-delà de 1998, et la continuation montre l’évolution de l’indice après la prédiction faite trois ans auparavant. (d’après Johansen et Sornette, 2000).

 

Johansen et Sornette[13] ont conclu en 2010 de leurs multiples analyses de l’évolution des marchés financiers mondiaux, que les krachs des marchés financiers correspondaient au climax des signatures des lois de puissance log-périodiques associées à des bulles spéculatives. Ce comportement a été vérifié sur de nombreux autres krachs boursiers. Selon Sornette, la raison selon laquelle les krachs boursiers sont difficiles à prévoir par la plupart des gens, vient du fait « qu’il faut regarder la forêt plutôt que l’arbre, ce que personne ne fait ». Autrement dit il faut changer d’échelle et voir les phénomènes à plus grande échelle. C’est ce qu’a fait Nottale en examinant l’évolution économique occidentale depuis l’époque néolithique.

 

Evolution des systèmes économiques occidentaux

 

L’approche de Sornette a incité Nottale à appliquer la même loi log-périodique à l'analyse de l'évolution des sociétés et de leurs économies, mais considérée d'un point de vue global et sur de très grandes échelles d’espace et de temps. Nottale a pu utiliser les résultats des travaux de l’économiste et sociologue Pierre Grou[14] sur l’évolution économique depuis le Néolithique pour de tester l’utilisation des lois log-périodiques à cette plus grande échelle[15]. Grou avait en effet montré en 1987, que l’évolution des systèmes économiques, depuis le Néolithique, il y a environ 10.000 ans, se caractérisait par des changements de lieux de domination se relayant selon un rythme d’alternances de crises et de non-crises obéissant à des gains successifs de productivité. Depuis le Néolithique du Moyen-Orient, en passant par l’Egypte, puis la Grèce, Rome, la civilisation arabe et les diverses crises de l’Europe occidentale depuis le Moyen Age, ces déplacements de foyers de dominations économiques sont à l'origine de bifurcations qui soulignent les grandes crises économiques de l'histoire. Ils permettent d'assimiler le schéma évolutif des sociétés à un arbre. Le résultat[16] est éloquent et a confirmé l’intuition de Grou (Fig.12).

 

 

Fig. 12. Répartition des événements de crises des systèmes économiques d’Europe occidentale. La loi log-périodique qui rend compte de cette évolution suggère un temps critique vers le milieu du XXIe siècle (d’après Nottale, Chaline et Grou, 2000).

 

Les séquences temporelles des crises économiques occidentales peuvent effectivement être décrites par une loi d'accélération log-périodique, avec une haute signification statistique.

Compte tenu du fait que ces lois probabilistes sont cependant prédictives comme nous l’avons vu précédemment, le résultat le plus étonnant tient au fait que le temps critique du système économique actuel semble très proche, puisqu’il serait daté à 2080 ± 30. En fait 2050 semble être une date butoir du système. Mais attention, cette date n’est pas à prendre au pied de la lettre, à l’année près. Il ne s’agit pas d’une prédiction du type Nostradamus, ni de l’apocalypse biblique ou d’un quelconque cataclysme millénariste. Il s’agit seulement d’une prévision probabiliste d’une loi d’évolution des phénomènes complexes qui donne une tendance. Toute étude statistiques présente une marge d’erreur plus ou moins importante[17]. Elle donne une indication sur la proximité du temps critique, qui manifestement est assez proche pour ces données globales.

Cela signifierait simplement que notre système économique actuel, celui de la« mondialisation supercapitaliste » serait entré dans une phase de très grande accélération où les successions des phases de crises (krachs boursiers) et de non crises, précurseurs du temps critique, sont si rapides qu’elle se superposent et que l’on s’approche très rapidement du temps critique suggérant tout de même une crise majeure, qui serait, selon le diagramme, la plus importante depuis le début du Néolithique, depuis 10 000 ans !

À quoi correspondra ce temps critique ? Personne ne peut le dire, ni ce que sera sa nature, ni son ampleur. En effet, il dépend de facteurs si multiples, de ce que l’on appelle la contingence, c’est-à-dire du fait, qu’une chose peut arriver, ou ne pas arriver. Par contre, dans l’évolution d’un système complexe, il arrive un moment où le système arrive en bout de course et c’est là que se place la prédiction…

Soulignons encore que le temps critique de l’évolution économique est proche de celui de la démographie mondiale traitée au chapitre précédent, ce qui est logique et implique une relation sans doute étroite entre certains facteurs qui contraignent les deux domaines.

Mais passons à une échelle encore plus grande, celle des civilisations.

 

Le temps critique des civilisations d’Amérique centrale, un exemple de la fin de civilisation ?

 

Ce résultat étonnant pour l’économie mondiale occidentale nous avait engagé à chercher si d’autres cas d’évolution à l’échelle des civilisations pouvaient être avérés. Grou avait repris les données publiées par les spécialistes sur les successions de civilisations d’Amérique centrale, depuis les Olmèques, les classiques, les Mayas, les Toltèques jusqu’aux Aztèques[18]. La loi log-périodique (Fig.13) s’applique avec une précision remarquable à ces données. Elle a suggéré que le temps critique de cet ensemble de civilisations était proche de 1.800 de notre ère. C’est-à-dire que l’invasion des Espagnols en Amérique centrale et du Sud est intervenue à une époque où ces peuples étaient déjà très proches de leur temps critique. Elle n’a donc fait que précipiter leur déclin et leur disparition, sans doute par leur incapacité à trouver des stratégies de résistance.

 

 

Fig. 13. Répartition des événements de crises des civilisations précolombiennes. Le temps critique de ces civilisations était proche de 1800 ± 80 ans. C’est-à-dire que l’invasion des Espagnols en Amérique centrale et est intervenue à une époque où ces peuples étaient déjà très prêts de leur temps critique (d’après Nottale, Chaline et Grou, 2001).

Beaucoup d’historiens se sont demandés en effet comment 170 espagnols avaient pu causer l’extermination de 40.000 Incas ! Bill Sullivan a proposé une hypothèse intéressante à savoir que cette disparition serait liée à leur lecture mythologique du ciel. En effet, pour les Incas, la Voie lactée (« rivière » en Quechua) est un lieu mythologique de rencontre entre les vivants et les morts. Pendant de longues périodes, la Voie lactée croise l’horizon au point où se lève le soleil, mais il est des périodes courtes où elle se déplace et n’est plus en contact avec l’horizon. Dans la tradition Inca, cette séparation du monde des morts et des vivants était le signe de la fin de leur civilisation. Or, le 15 novembre 1532, lorsque les 170 conquistadors envahirent l’empire Inca, ceux-ci étaient persuadés de la fin de leur monde, puisque la Voie lactée ne touchait plus l’horizon. C’est peut-être pourquoi ils n’ont apparemment opposé aucune résistance puisque c’était écrit dans le ciel, alors que, connaissant le terrain et étant infiniment plus nombreux, ils avaient les moyens d’exterminer les envahisseurs…

Cette nouvelle approche d’analyse de l’évolution des sociétés pourrait peut-être expliquer la disparition de certaines civilisations qui paraissaient prospères, et se sont effondrées très brutalement, d’une façon qui nous paraît aujourd’hui incompréhensible. En dehors des conditions climatiques reconnues ou suspectées d’être responsables de la disparition de nombreuses cultures, il y a là un tout nouveau domaine à prospecter que beaucoup d’historiens classiques rejettent parce qu’ils n’imaginent pas que les civilisations puissent suivre des lois probabilistes…

Nous avons vu que cette loi pouvait s’appliquer effectivement à des tremblements de terre superficiels, à l’évolution du vivant, à la démographie et aux fluctuations de la bourse. Cette universalité de la loiet ces prédictions probabilistes ont beaucoup choqué de nombreux spécialistes qui ont nié cette possibilité d’universalité et celle de prédictions probabilistes, parce qu’elle semblait aller à l’encontre de l’idée que beaucoup de phénomènes semblent uniquement le fait du hasard et de la contingence. Or les études de la physique contemporaine ont montré que le hasard suivait effectivement des lois dites probabilistes.

Retenons de cette évocation que les systèmes économiques et financiers de la bourse suivent des lois log-périodiques et que, de part et d’autre du temps critique, on observe des événements précurseurs se produisant dans une accélération et qu’après le temps critique, on remarque des événements répliques se succédant en décélération. Il est étonnant de constater que ces lois s’appliquent à l’évolution économique, mais aussi à la démographie et aussi aux phénomènes sismiques superficiels et à l’évolution du vivant, ce qui montre bien l’universalité de l’évolution de ces systèmes pourtant différents, mais critiques. Retenons l’accélération des crises financières et la proximité du temps critique pour l’économie mondiale… Ces résultats devraient être examinés avec le plus grand intérêt par les spécialistes d’économie et les hommes politiques qui ont toujours tendance à minimiser les risques. Car les effets économiques du temps critique à venir risquent d’être très dévastateurs, si l’on en juge par les effets des chocs précurseurs récents. Pour éviter de foncer dans le mur, mieux vaudrait prévenir…

C’est ce que nous allons analyser au chapitre suivant en pratiquant un peu d’histoire économique pour montrer comment on en est arrivé au système actuel du  supercapitalisme.

 

 

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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 17:28

 

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Attendez-vous à savoir que les lois des

 

phénomènes critiques

 

s’appliquent aussi en paléontologie !

 

La paléontologie, la science qui se consacre à l’étude des organismes fossiles et à l’histoire de la vie, a fait l’objet des premières recherches sur les lois particulières de l’évolution.

 

Une première mondiale : l’évolution des rongeurs suit des lois fractales !

 

En 1992, comme nous l’avons déjà évoqué dans l’introduction, nous avons démontré avec Jacques Dubois[1] de l’Institut de Physique du Globe de Paris, la répartition fractale des apparitions et des disparitions des espèces de rongeurs de la famille des Campagnols, les souris des champs, pendant la période quaternaire dans toute l’Eurasie[2]. Nous avions comparé la distribution des apparitions et des disparitions d’espèces à une structure fractale classique discontinue, celle la poussière de Cantor (Fig. 6) et la surprise a été très grande. Ces répartitions suivaient effectivement des lois de puissance, ce qui impliquait une structuration fractale de l’évolution de ce groupe de rongeurs. Cela signifiait aussi que les apparitions et les disparitions d’espèces de ces rongeurs ne se faisaient pas au hasard, mais suivaient des lois fractales ! Etonnant et totalement inattendu ! Cela démontrait enfin que l’étude de l’évolution des espèces ne pouvait être faite qu’en utilisant les équations de la dynamique non linéaire ! Une révolution des méthodes s’imposait.

 

 


   Fig. 6. Une structure fractale classique : la poussière de Cantor. Cette structure fractale se réalise en prenant un segment que l’on divise en trois, et dont on enlève la partie centrale (1-0-1). On recommence (réitère) cette opération avec les deux segments qui restent, et ainsi de suite jusqu’à l’infini… Cette succession d’itérations triadiques (1-0-1) aboutit à une véritable poussière fractale de points, réalisée pour la première fois par Georg Cantor en 1884 (d’après Dubois, Chaline & Brunet-Lecomte, 1996).

 

D’autres collègues anglo-saxons publièrent en même temps comme Burlando[3], ou peu de temps après, des travaux qui confirmèrent ce premier résultat mathématique démonstratif et la nature fractale de l’histoire de plusieurs groupes animaux fossiles. Parmi eux citons Bak[4], Plotnick et Sepkovsky[5] et bien d’autres[6]. Ce travail préliminaire impliquait des recherches complémentaires pour identifier les lois en cause. Elles furent l’objet des travaux de notre groupe de recherche formé avec Nottale et Grou[7].

 

L’application des lois d’échelle temporelle en paléontologie

 

Encouragé par ces résultats, j’avais envoyé à Laurent Nottale en 1996 la chronologie des dates des principaux changements morphologiques des plans d’organisation fossiles des Primates, afin de voir si elle ne suivait pas une loi mathématique particulière, celle d’un attracteur étrange ou d’une loi fractale ?

Comme je l’ai déjà dit plus haut, les travaux de Sornette et de ses collègues sur les tremblements de terre superficiels et l’indice S & P 500, ont alors suggéré à Nottale de traiter l’arbre de la vie comme les autres arbres végétaux structurés de manière fractale, mais dans le temps, au lieu de l’espace. Nottale a montré qu’on pouvait appliquer une loi d’échelle log-périodique pour traiter ce problème.

 

L’arbre fractal du vivant

 

Pour compléter la documentation et vérifier la validité de cette application, nous avons testé d’autres exemples bien étudiés au point de vue paléontologique et surtout ceux dont les événements évolutifs majeurs étaient bien datés et publiés par des collègues. Nous avons alors utilisé les nouveaux travaux de Jeffrey A. Wilson et Paul C. Séréno sur les dinosaures herbivores, ceux de Jean-Louis Hartenberger sur l’ensemble des rongeurs, des données inédites de Charles Devillers sur les chevaux d’Amérique du Nord, les données de Bruno David et de Rich Mooi[8] sur les oursins et l’histoire complète de la vie d’après mes données complétées par celles des grands événements de la vie depuis le big-bang de l’Univers jusqu’aux Mammifères de Delsemme[9].

Cette application de la loi d’échelle log-périodique en paléontologie[10] a donc été réalisée pour la première fois par notre groupe de recherche NCG dès 1996 et publiée en 1999.

Ultérieurement, nous avons traité le développement humain[11] avec Roland Cash, spécialiste de gynécologie, et avons montré qu’il suivait aussi la même loi. Voyons rapidement de plus près les résultats obtenus (Fig. 7) et les enseignements à en tirer.

Cette analyse confirme que les arbres de filiation des divers groupes évolutifs étudiés et l’arbre global de la vie sont fractals.

Les arbres des radiations évolutives analysés correspondent à une succession de bifurcations se réalisant, soit selon une accélération (primates, rongeurs, dinosaures, chevaux), soit selon une décélération évolutive (oursins et développement humain). On constate un rapport d’échelle moyen égal à racine de 3.

 

Dans l’arbre global du vivant se succèdent  tout d’abord l’apparition de la vie avec les premières cellules procaryotes (sans noyau), puis les cellules eucaryotes (avec un noyau) et enfin les organismes pluricellulaires[12]. Parmi ceux-ci, on retrouve ensuite le branchement des invertébrés, les grandes innovations des vertébrés, comme la mise en place d’un squelette interne, puis celle des quatre membres des Tétrapodes, l’apparition de la régulation thermique chez les reptiles (homéothermie) et enfin l’apparition de la reproduction avec le développement de l’embryon à l’intérieur de la mère chez les mammifères (viviparité). Les divers groupes étudiés se branchent aux niveaux de leurs dérivations et évoluent, soit en accélération, soit en décélération.

Nous avons discuté par ailleurs[13] la signification du temps critique pour l’évolution des espèces. Dans l’état actuel de nos recherches il semblerait, en se basant sur l’exemple des dinosaures, que ce temps critique ‘pourrait’ correspondre à la perte de potentialités d’innovations morphologiques. En effet, les dinosaures Théropodes qui disparaissent à -65 millions d’années, ont un temps critique de -140 millions d’années, autrement dit ils survivent à ce temps critique, mais disparaissent selon le jeu de la contingence de l’environnement, ici avec le refroidissement qui s’est manifesté à la limite Crétacé-Tertiaire. Mais d’autres interprétations sont possibles…

L’existence de temps critiques particuliers pour chaque groupe étudié montre aussi que les groupes biologiques ont tous une histoire distincte et des durées de vies différentes en raison de potentialités variées sans doute liées aux génomes des formes initiales et aux conditions environnementales contemporaines qui favorisent ou contraignent l’expansion des faunes.

 

 

 


Fig. 7. Répartition des grands événements du vivant depuis l’origine de la vie jusqu’aux 

Mammifères (d’après Nottale et al.[14], 2002). (My = millions d’années).

 

 

En conclusion de ce chapitre sur la paléontologie, retenons que l’arbre de la vie et ses diverses branches sont fractals. Retenons aussi que les lois log-périodiques décrivent bien la chronologie des événements successifs d’un phénomène évolutif donné. C’est-à-dire que les lois d’échelle s’appliquent non seulement à des phénomènes spatiaux, mais aussi à des phénomènes temporels, comme l’évolution des espèces, de leur apparition à leur disparition. Elles montrent notamment que ces phénomènes que l’on croyait entièrement aléatoires ne se font pas exclusivement au hasard, mais suivent des lois particulières, des lois fractales, totalement insoupçonnées.

Cette étude suggère aussi que les potentialités évolutives des groupes vivants sont peut être limitées. Comment ? Par la génétique ou par le changement contingent de l’environnement ? L’existence des temps critiques pour chaque groupe pourrait peut-être expliquer, avec la pression de la contingence locale, la disparition assez mystérieuse de nombreux groupes zoologiques qui ont peuplé notre planète aux diverses époques géologiques…

Il s’agit d’une loi d’échelle quasi-universelle[15], puisqu’elle peut s’appliquer des tremblements de terre superficiels à l’évolution du vivant, mais aussi à la démographie, comme nous allons le voir maintenant.

 



 

  « La difficulté n’est pas de faire des enfants,

mais de les nourrir »

T.-H. Malthus

« Essai sur le principe de population »


 

5

 

Attendez-vous à savoir que la démographie


humaine doit atteindre plus de 9 milliards

 

d’individus en 2050, soit 2 milliards

 

d’individus en plus qu’aujourd’hui !

 

Parmi les phénomènes qui conditionnent notre vie actuelle et surtout l’avenir de l’humanité, donc de l’espèce humaine, il en est un qui est particulièrement important, c’est celui de la démographie mondiale.

 

Malthus, un visionnaire pessimiste effrayé par la démographie galopante

 

Le premier à avoir pris conscience de l’importance de la démographie est le pasteur anglican Thomas-Robert Malthus. Son livre « Essai sur le principe de population[16] » paru en 1798 de façon anonyme, mais précédé d’un pamphlet intitulé « The crisis », soulignait les conséquences désastreuses d’une surpopulation dans un environnement aux ressources alimentaires limitées. Ce texte doit être replacé dans le contexte de l’Angleterre de l’époque où la misère des débuts de la révolution industrielle était particulièrement dramatique. Il s’opposait à l’optimisme du Siècle des Lumières et des utopies révolutionnaires françaises, en décrivant concrètement les difficultés de la vie résultant de la surpopulation accompagnée de vies misérables.

Malthus estimait en effet que « la tendance constante qui se manifeste chez tous les êtres vivants à accroître leur espèce plus que ne le comporte la quantité de nourriture qui est à leur disposition », était la source des famines, des guerres et de la surmortalité et que « le défaut de place et de nourriture fait périr dans ces deux règnes (animal et végétal) ce qui naît au-delà des limites assignées à son espèce ». Il a écrit : « On peut affirmer qu'en l'absence de contrôle, une population devrait doubler tous les 25 ans, ou s'accroîtrait selon une progression géométrique ». De là vient l'idée de Charles Darwin de la lutte pour l'existence que les espèces doivent engager pour leur survie et qui est à l’origine du principe de sélection naturelle découvert par Darwin et Alfred Russell Wallace

Les conceptions de Malthus ont fait scandale, car elles ont abouti à ce que Pierre Joseph Proudhon a qualifié, en 1849, de « Malthusianisme ». Malthus préconisait la restriction des capacités de procréation des familles susceptibles de ne pas pouvoir nourrir leur famille, par une chasteté acceptée. Il proposait de développer un protectionnisme économique et la fin de l’aide aux pauvres. Cette conception deviendra le « néo-malthusianisme » avec les politiques anticonceptionnelles désormais possibles. Il s’agit d’une politique suggérant le contrôle de la croissance et de la diminution de la démographie lorsqu’elle devient galopante. Par là, le néo-malthusianisme se rattache à certains mouvements du « darwinisme social », souvent partisans de « l’eugénisme ». Mais il faut bien préciser ici que les idées du Darwinisme social et de l’eugénisme ne sont pas l’œuvre de Darwin qui y était opposé, ni de sa théorie, mais des idées philosophiques respectivement d’Herbert Spencer et de Francis Galton[17], un cousin de Darwin. Ces mouvements ont abouti en 1921 à la création de la Ligue américaine pour le contrôle des naissances par Lothrop Stoddard et de La Société Américaine d’eugénisme fondée en 1926.

Aujourd’hui les néo-malthusiens, à l’image du Commandant Cousteau, défenseur de la planète, s’inquiètent de l’expansion incontrôlée de l’humanité comme un danger potentiel majeur pour la biosphère et l’environnement de la planète. On peut s’en étonner et se demander pourquoi cette inquiétude ? Parce qu’une augmentation non contrôlée de la démographie va entraîner une consommation accrue d’eau, déjà rare, et qu’elle se traduira par la disparition de grandes surfaces de forêts pour accroître les habitats et l’émission renforcée de gaz carbonique pour résoudre un besoin accru d’énergie.

Qu’en est-il réellement de ce problème aujourd’hui ? L’étude de l’évolution de la population mondiale a fait l’objet de nombreux travaux de la part de l’ONU.

 

La démographie sous l’œil de l’ONU

 

Une démographie exponentielle

 

Les Nations Unies ont pris conscience depuis longtemps de l’importance du problème et tous les deux ans, la Division de la population du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU publie ses prévisions[18]. Examinons l’augmentation de la population humaine dans les temps historiques où les données sont relativement crédibles.

La population mondiale est estimée entre 600 et 679 millions d’habitants vers 1700, au début du Siècle des Lumières. Elle aurait atteint le premier milliard vers 1800, puis en 1900, entre 1,55 et 1,75 milliard. Entre 1950 et l’an 2000, la population mondiale a doublé, pour atteindre 6 milliards en 1999[19],  6,272 milliards en 2003 et 6,5 milliards d’habitants en juillet 2005. Evaluée à 6,890 milliards d’êtres humains au 1er janvier 2011, la population mondiale a passé le cap des 7 milliards le 30 octobre[20]. À ce rythme, elle pourrait passer à 9,3 milliards en 2050 ; un scénario qui représente seulement une solution moyenne de la croissance démographique[21]. La projection la plus élevée prévoît une population de 10,6 milliards d’individus en 2050 et la plus basse 8,1 milliards d’hommes. Elle pourrait atteindre 10 milliards à la fin du XXIe siècle, voire 15 milliards, si le taux de fécondité était plus élevé que celui qui est escompté ! On constate que la hausse la plus forte se situe en Afrique où la population a dépassé le milliard d’individus en 2009 et qui risque au même rythme, d’atteindre le deuxième milliard en 2040…

En 2007 on estimait qu’il naissait à chaque seconde, cinq êtres humains et qu’il en mourrait deux. Cela signifiait que la population mondiale augmentait de trois individus par seconde ! Ce qui faisait progresser la population de 221 000 individus par jour, résultant de la différence entre les 365 000 naissances et les 144 000 décès effectifs chaque jour. Cela signifie que si la population mondiale augmente de 3 individus par seconde, elle progresse de 78 millions d’individus par an et entraîne un doublement de la population en 40 ans ! Il s’agit d’une progression « exponentielle » où les moins de 25 ans représentent 43% de la population !

Pour Henri Léridon, on aurait les moyens sur Terre pour nourrir 9 milliards d’hommes, mais au-delà, la situation deviendrait préoccupante…

Cet accroissement important est en partie liée à l’augmentation de l’espérance de vie et à la diminution de la mortalité infantile. D’après ces prévisions, la majeure partie de la croissance démographique se situerait dans les pays en voie de développement passant de 5,3 à 7,8 milliards d’individus, celle des pays développés occidentaux restant stable avec son 1,2 milliard d’habitants.

En additionnant les évaluations des démographies successives des populations humaines, on estime que le nombre total d’êtres humains (Homo sapiens) ayant vécu sur la Terre depuis 150.000 ans s’élèverait à plus de 106 milliards !

 

Démographie et taux de fécondité

 

Pour assurer le remplacement de la population le taux de fécondité nécessaire est de 2,1 enfants par femme dans les pays développés et de 2,5 enfants/femme dans les pays où la mortalité infantile est beaucoup plus élevée. Il faut prendre en compte le fait qu’il naît naturellement dans l’espèce humaine 105 garçons pour 100 filles (sex-ratio). L’ONU fait des projections démographiques, fondées sur les analyses des taux moyens de fertilité par femme. Celui de février 2005 a montré que le taux actuel moyen était de 2,6 enfants par femme alors qu’il était de 3,1 en 1995. En 2006, on estimait que le taux d’accroissement démographique de la population mondiale était de l‘ordre de 1,14%. L’ONU prescrit de faire tomber le taux de fécondité à 1,85 enfant/femme pendant un siècle pour arriver à stabiliser les effectifs à un niveau convenable, c’est-à-dire permettant de nourrir tout le monde. Or la moyenne dans les pays les moins avancés reste de 2,4/2,9 enfants/femme, ce qui est beaucoup trop. Le taux de fécondité évalué en juin 2011 pour 2050 est de 2,17 enfants par femme, ce qui porterait la population à 9 milliards 156 millions d’individus.

La politique de la Chine de l’enfant unique pour maîtriser sa démographie par avortements contraints et stérilisations forcées, s’est finalement traduite par de nombreux inconvénients. Elle a entraîné la masculinisation de la population avec en 2010, un excédent de 60 millions de garçons, résultant d’une proportion de 124 garçons pour 100 filles, au lieu du sex-ratio naturel cité plus haut. Ces choix traduisent non seulement la mentalité chinoise qui privilégie de façon traditionnelle les garçons qui garantissent la pérennité familiale pour la transmission du patrimoine familial, mais aussi la démocratisation des échographies qui entraînent souvent l’avortement. Nombreux sont aussi lorsqu’il s’agit de filles, les infanticides et les abandons. De nouvelles lois pour réguler les successions ont été prises ainsi qu’une campagne pour promouvoir l’égalité des sexes. Le même problème se pose d’ailleurs dans d’autres pays d’Asie comme l’Inde.

Les variations du taux de fécondité autour de 1,8/2 peuvent mener, au-dessus à une explosion démographique et au-dessous à une implosion. Comme on constate une réduction de la fécondité dans les pays en voie de développement, beaucoup de décideurs ont estimé qu’il n’y avait pas péril et que l’on n’avait pas à s’en préoccuper. L’ONU a cependant calculé qu’il suffirait que la fécondité s’établisse à ½ point au-dessus de celle prévue dans le scénario moyen pour que population mondiale atteigne vers 2050, non plus 9,165 milliards, mais 10,5 milliards d’individus. Et l’on pourrait même arriver à 14 milliards en 2100 !

En France, l’encouragement d’une politique des naissances semble avoir porté ses fruits puisque le taux de natalité vient de retrouver des valeurs compatibles avec le renouvellement des générations. Selon l’INSEE, le taux de fécondité vient de passer en 2005 à 1,94, alors que dans le reste de l’Europe il est en moyenne de 1,5 sauf en Irlande où il atteint 1,99.

Curieusement et contrairement à des idées en cours, il s’avère aujourd’hui que les pays en voie de développement connaîtraient globalement déjà un ralentissement démographique notable qui devrait s’accentuer. En effet, après cette période d’expansion quasi-exponentielle jusqu’en 2050, date qui correspond, nous le verrons, au temps critique de la démographie, la population mondiale régresserait jusqu’à son niveau actuel en 2100 pour descendre encore de 3 milliards en 2200. C’est ce que Michel Schooyans[22] a appelé le « crash démographique » et Gérard-François Dumont[23] « l’hiver démographique ».

 

La loi log-périodique appliquée à la démographie mondiale

 

Il faut savoir que la démographie est un phénomène itératif, où l'effectif de la population d’une période donnée dépend de celui de la période précédente. C’est donc un phénomène à mémoire comme ceux que nous avons étudiés dans les chapitres précédents. L’analyse inédite des données démographiques de l’ONU réalisée par Nottale et reprise ensuite par Johansen et Sornette[24] a montré que le temps critique de la démographie mondiale se situait à 2052 ± 10 (Fig. 8).

Contrairement à une croyance, la population humaine et son économie ont cru plus vite qu’une fonction exponentielle pendant leur histoire ! Ces taux de croissance sont compatibles avec une singularité spontanée arrivant au même moment critique… Or ce temps critique est identique à celui trouvé par Nottale pour l’évolution du système économique occidental. Il apparaît donc que l’évolution économique évolue parallèlement à celle de la démographie mondiale, ce qui suggère une relation étroite entre les deux domaines. On perçoit intuitivement cette relation, mais sans connaître exactement les facteurs qui les lient…

 

 

 

 

Fig 8. Schéma démographique mondial exponentiel. Diagramme semi-logarithmique de la population mondiale entre l’an 0 et octobre 1999. Lorsque le taux de croissance est constant, la taille de la population croît de plus en plus vite vers + ∞… et devient super-exponentielle (d’après Johansen & Sornette, 2001).

 

 

La relation entre la démographie et l’économie

 

La relation entre la démographie et l‘économie correspond à la loi dite de Malthus. Elle exprime le fait que la croissance économique provoque une croissance démographique, car la nouvelle richesse fait croître la natalité et entraîne une réduction de la mortalité. Or l’accroissement du nombre de têtes à nourrir fait finalement baisser le revenu et provoque finalement les famines qui détruisent l’économie. Il en est résulté que le niveau de vie des pauvres n’a pratiquement pas changé depuis l’époque romaine, proche du dollar par jour.

Alfred Sauvy[25], avait très bien vu qu’il y avait un lien direct entre la croissance économique et la dynamique démographique. Sauvy affirmait avec raison  « que les économistes "refusaient de voir" ce lien entre croissance économique et dynamique démographique, et ne cherchaient donc pas à le vérifier. Une erreur, car les ressorts du dynamisme sont les mêmes dans les deux domaines. Le goût de vivre s'exprime à la fois par l'initiative économique et par l'accueil des enfants (…) Et il montrait ensuite, chiffres à l'appui, la grande différence, au cours des vingt dernières années, entre les deux rives de l'Atlantique : une croissance supérieure et progressive des États-Unis par rapport à l'Europe, un différentiel croissant concernant le PIB par tête et en parité de pouvoir d'achat. Cette supériorité des États-Unis - explique-t-il, analysant les chiffres - " résulte donc de l'évolution démographique, plus tonique chez les Américains que chez nous ».

Quant au krach démographique de Schooyans et Dumont, il pourrait, selon les auteurs, engendrer des krachs de type économique.

Avec l’accélération des pics des crises économiques qui se superposent actuellement, notamment celle de la dette abyssale des Etats apparue dans toute son ampleur en 2011, on peut envisager des répercussions sur la démographie.

 

Les conséquences économiques et écologiques mondiales de la démographie

 

En novembre 2005, un rapport présenté par Michel Godet[26] et Evelyne Sullerot au Conseil d’analyse économique a souligné la nécessité d’une politique familiale.

Il faut savoir en outre que sur les 7 milliards d’êtres humains actuels, au moins un milliard d’hommes souffrent de la faim ! 35 % vivent sans hygiène alimentaire. 30 % n’ont accès qu‘à des eaux insalubres. 25 % seulement ont un logement décent. Seulement 20 % peuvent se soigner correctement. En effet, il faut savoir que les deux tiers de la population mondiale, c’est-à-dire 5,1 milliards d’individus, vivent sans aucune couverture sociale. En outre, un milliard de jeunes êtres humains arrivent actuellement à l’âge de la reproduction dans les pays pauvres…

Les conséquences sont déjà là. L’insécurité qui règne dès maintenant dans de nombreuses cités urbaines et mégapoles et les tentatives d’immigrations clandestines des populations démunies pour passer en Europe ou aux USA devraient servir de signaux d’alarme…

Il est évident qu’il faudrait mieux maîtriser la démographie mondiale. Car imaginez que vers 2050, il y aura 2 milliards d’individus supplémentaires à nourrir, à loger et à qui trouver un emploi afin de les faire sortir de la misère, alors qu’on n’arrive pas actuellement à gérer correctement une population de 7 milliards d’individus ! C’est un défi majeur de l’humanité.

Les conséquences seront dramatiques. Parmi elles, celui des migrations de la misère pour rechercher un travail et ainsi survivre dans les pays développés vont, par nécessité, s’amplifier considérablement. Les immigrants pourraient trouver des emplois dans les pays riches où les populations vieillissent, mais à la condition d’être bien intégrés. Les migrants des dernières années de Lampedusa ne sont qu’une goutte d’eau annonciatrice d’une vague migratoire sans précédent résultant de l’expansion démographique prévisible et de la misère l’accompagnant, notamment dans les pays chauds où le réchauffement climatique assèche encore plus les terres et où ces conditions dramatiques sont renforcées par des guerres de conquête politico-religieuses… À l’échelle mondiale pour faire face au krach démographique européen, l’ONU propose l’immigration de 13 millions d’habitants par an.

Les gouvernements du monde auront-ils la volonté et surtout auront-ils les moyens et seront-ils capables de trouver des solutions équitables avec la crise de la dette actuelle ?

Attendez-vous à ce que les réflexes xénophobes[27] s’amplifient, à ce que les objectifs des partis d’extrême droite deviennent majoritaires à cause de la peur des étrangers, affamés, révoltés, venus simplement pour sauver leurs vies et celles de leurs familles en péril… 

Parmi les effets collatéraux de l’augmentation de la démographie, certains sont décisifs pour l’écologie de la planète. L’accroissement de la population entraîne en effet une augmentation gigantesque de la demande d’eau douce.

Selon l’ONU, on devrait avoir un déficit de 40% entre les demandes en eau et les ressources disponibles vers 2030. Cette eau douce qui est en train de disparaître dans la mer avec la fonte des glaciers des montagnes et de ceux de l’Antarctique à cause du réchauffement climatique. Comme cette progression démographique se situe dans les pays en voie de développement, elle aura aussi des impacts majeurs sur les nappes phréatiques. Il y a fort heureusement de nouvelles possibilités d’obtenir de l’eau douce par le dessalement de l’eau de mer comme cela se pratique déjà dans la péninsule Arabe, en Espagne, au Cap-Vert, au Maroc, Algérie, Mexique, Californie et en Floride. Il existe actuellement plus de 12.500 unités de dessalement dans 120 pays qui fabriquent environ 30 millions de m3/jour d’eau potable. Il y a aussi les « filets à brouillard » peu chers et efficaces utilisés dans les pays montagneux où se forme des brouillards, comme le Pérou et le Népal, mais aussi en Afrique du Sud. Le problème est donc moins crucial qu’il y a quelques années, mais il nécessite des moyens considérables, que tous n’auront pas…

On comprend ainsi mieux pourquoi la Chine ne veut pas donner d’autonomie au Tibet, puisque les fleuves chinois naissent dans cette région de l’Himalaya. Il en est de même pour le Moyen-Orient où la recherche de l’eau est cruciale et l’une des causes des relations tumultueuses entre Israël, le Liban, la Syrie et les Palestiniens.

L’augmentation de la population implique aussi un besoin plus considérable d’énergie et donc une augmentation de la pollution par le CO2. Du côté des centrales nucléaires, il faut prendre en compte les risques des tremblements de terre et des tsunamis qui en résultent. L’expérience de Fukushima au Japon est exemplaire de l’abandon du nucléaire à des sociétés privées qui, pour faire plus de bénéfices, n’ont pas établi de digues suffisamment hautes pour limiter les effets des tsunamis, dont on savait pourtant qu’ils pouvaient dépasser les hauteurs retenues. Il faut y ajouter la gestion des déchets radioactifs provenant des centrales nucléaires dont nous ne savons pas encore nous débarrasser facilement.

Enfin, pour loger 2 milliards d’individus supplémentaires, il faut construire des logements, ce qui entraînera une augmentation notable des mégapoles et une réduction des zones de campagne ou de forêt. C’est l’évolution inexorable des migrations des populations rurales vers les villes où l’on trouve, en principe, plus facilement un emploi, mais, le plus souvent la misère des bidonvilles. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Chine où des villes nouvelles vides naissent en pleine campagne dans les régions industrialisées de l’Est du pays ; elles seront habitées par des gens transplantés d’autorité pour assurer le développement industriel du pays, mais au prix de nombreux renoncements des individus…

Il faut savoir qu’environ 80% de la couverture forestière mondiale originelle aurait été abattue au cours des 30 dernières années selon une étude américaine. Il disparaît en effet 80 000 km2 de forêt chaque année depuis 15 ans, en tenant compte de la reforestation ! À ce rythme, elle n’en aurait plus que pour 200 ans ! Ensuite, ce sera comme sur l’île de Pâques, avec l’extinction consécutive des Pasquans qui n’ont pas compris et maîtrisé le défi écologique impliqué par leur tradition ! Protéger nos forêts est donc une priorité mondiale, d’autant plus que la déforestation représente 25% de l’émission du dioxyde de carbone (CO2) qui augmente d’une part, l’effet de serre et d’autre part, l’aridification de façon drastique.

 

Que faire pour maîtriser la démographie ? 

 

On comprend dès lors que l’accroissement de la démographie soit l’un des problèmes majeurs de ce siècle par ses conséquences socio-économiques et humaines. Le Conseil économique et social des Nations Unies a publié en février 2011 une analyse qui suggère de faire un effort considérable pour abaisser le taux de naissance. Le directeur du Fonds des nations Unies pour la population (UNFPA) de 2011 estime que « ce n’est pas uniquement une question de place, mais aussi une question d’équité, d’égalités des chances et de justice sociale ».

Il faut de toute urgence éduquer les populations, car il y a aussi 1 milliard d’analphabètes, voire plus, sur notre Terre du XXIe siècle ! Le rapport 2011 de l’ONU précise que la prospérité, une bonne éducation des filles et des femmes et l’accès à la contraception permettent de réduire de façon importante la fertilité des couples, ce qui s’observe dans les pays riches où la population baisse de façon parfois préoccupante. Il semble d’ailleurs que la multiplication des postes de télévision soit aussi un acteur efficace de la baisse de la démographie, car elle diffuse en permanence le modèle américain de la femme maîtresse de ses choix en la matière. Sur ces bases, l’ONU estime que le taux de natalité pourrait descendre vers 2050 à 1,85 enfant par femme…

Il faut donc privilégier des campagnes d’information, mais les méthodes de contraception moderne sont trop peu mises en œuvre avec, par exemple, en Afrique seulement 12% de pratiques, d’où la progression gigantesque de sa population qui dépasse aujourd’hui 1 milliard (1 être humain sur 7) et pourrait passer en 2100 à 3,6 milliards !

Il faut absolument maîtriser la démographie mondiale, sinon il y a un risque de voir se développer une misère, un chômage, des émigrations sauvages et des révoltes et une insécurité grandissante dont l’ampleur risque d’être sans commune mesure avec ce que nous connaissons actuellement. L’insécurité qui règne dès maintenant dans les cités urbaines du Brésil. Les multiples tentatives d’immigrations clandestines des populations africaines démunies pour passer en Europe, via les enclaves espagnoles marocaines de Ceuta et de Melilla devraient nous servir de signal de danger.

Il faut y ajouter le changement climatique qui va modifier les productions agricoles et surtout la répartition des populations dans des zones qui vont devenir inhabitables par aridification en Afrique, ou par leur disparition sous l’eau comme le Bengladesh.

 Il devient évident que des actions concertées s’imposent de façon urgente en intégrant l’ensemble de paramètres en jeu, aux diverses échelles, locale, nationale et mondiale, pour gérer au mieux ces problèmes. Mais il faut savoir que les crédits affectés par L’ONU à ce problème majeur ont chuté de moitié dans les dix dernières années. Et il faut ajouter que les religions chrétiennes et musulmanes s’opposent au contrôle des naissances, donc à la contraception, surtout, en plus, lorsqu’un fort taux de reproduction correspond à une stratégie politico-religieuse de conquête territoriale, efficace à long terme…

Or les dirigeants de tous les pays prennent les résultats les plus optimistes de l’ONU pour minimiser le problème. En outre leur préoccupation première est leur élection ou réélection à court terme, le long terme ne les concerne pas !

 

Que retenir de ce chapitre démographique ? La démographie suit la même loi log-périodique que les séismes superficiels et l’évolution des espèces, montrant ainsi son universalité. La démographie va encore croître de 2 milliards d’individus vers 2050 ! Il faudra donner à ces hommes une éducation correcte, leur trouver du travail, leur procurer un logement et de la nourriture. Serons-nous capables de l’assumer ? En aurons-nous la volonté et les moyens ? Quelles seront les positions et actions des diverses institutions politiques, civiles et religieuses sur ces problèmes ? Les institutions les plus opposées à la pratique de la contraception portent dès aujourd’hui, et porteront demain une très lourde responsabilité aux yeux de l’humanité. Car faut-il laisser naître des millions d’individus, si nos sociétés ne sont pas capables de leur assurer une subsistance décente digne de notre humanité ? La question est posée ? C’est l’un des enjeux majeurs de nos sociétés en ce début de siècle où très peu de personnes semblent conscientes des problèmes, où ne veulent surtout pas en parler en raison de leurs complexités pour trouver des solutions adéquates et équitables. Si rien n’est fait, attendez-vous à des mouvements de révoltes de la faim et de la misère, à des révoltes de la liberté pour vivre, au moins pour survivre, décemment… Le risque est très grand ; il y a urgence !

Mais la démographie n’est pas le seul phénomène de société qui est régi par des lois d’échelle. Nous avons vu que l‘économie était liée à la démographie. De fait, nous allons voir au chapitre suivant que l’économie suit les mêmes lois critiques, confirmant l’universalité de celles-ci.



[1] Dubois J., Chaline J. & Brunet-Lecomte P. 1992. Spéciation, extinction et attracteurs étranges. C. R. Ac. Sc. Paris., 315(II) : 1827-1833.

[2] Dubois et Chaline, 2006. Le monde des fractales. La géométrie cachée de la nature. Paris, Ellipses.

 

[3] Burlando, B. 1993. The Fractal Geometry of Evolution. J. Theor. Biol., 163: 161-172.

[4] Bak, P. 1996. How Nature Works: The Science of Self-Organized Criticality, New York, Copernicus.

[5]Plotnick, R.E. & Sepkovski, J.J. 2001. A multiplicative multifractal model for originations and extinctions. Palaeobiology, 27(1): 126-139.

[6] Chaline , J. 2006. Quoi de neuf depuis Darwin ? La théorie de l’évolution dans tous ses états. Paris, Ellipses.

[7] Equipe NCG : groupe de recherche Nottale, Chaline & Grou fondé en 1996.

[8] David, B. & Mooi, R. 1996. Embryology Supports a New Theory of Skeletal Homologies for the Phylum Echinodermata. C. R. Ac. Sc., Paris, 319: 577-584.

[9] Delsemme, A. 1994. Les origines cosmiques de la vie. Paris, Flammarion.

[10] Chaline, J., Nottale, L. & Grou, P. 1999. L'arbre de la vie a-t-il une structure fractale ? C. R. Ac. Sc. Paris., Le Point sur…, série 328 : 717-726.

[11] Cash, R. Chaline, J. Nottale, L. & Grou, P. 2002.  Développement humain et loi log-périodique. C.R. Biologies, 325 : 585-590.

[12] Chaline, J. & Marchand, D. 2002. Les merveilles de l’évolution. Dijon, EUD.

[13] Nottale, L., Chaline, J. & Grou,P. 2000. Les arbres de l’évolution. Paris, Hachette et Nottale, L., Chaline, J. & Grou, P. 2010. Des fleurs pour Schrödinger. Paris, Ellipses.

[14] Nottale, L., Chaline, J. & Grou, P. 2002. On the fractal structure of evolutionary trees. In : Fractals 2000 in Biology and Medicine, Proceedings of Third International Symposium, Ascona, Switzerland, (Losa, G., Merlini, D., Nonnenmacher, T.F. & Weibel, E.R., Eds.) Birkhäuser Verlag, 3 : 247-258.

[15] Les lois d’échelle sont très souvent des lois de type statistiques au même titre que les lois des grands nombres. C’est pourquoi elles se rencontrent aussi universellement en géologie et en biologie , etc…

[16] Malthus, T.H. 1798. An Essay on the Principle of Population, as it Affects the Future Improvement of Society with Remarks on the Speculations of Mr. Goodwin, M. Condorcet and Others Writers. London, printed for Johnson, in St. Paul’s Church-Yard. Ed. anonyme de 1798.

[17] Chaline, J. 2006. Quoi de neuf depuis Darwin ?Paris, Ellipses.

[18] On trouvera les données sur les sites du Centre de Nouvelles  ONU reprises par les divers médias. Il faut noter que les prévisions de l’ONU, depuis 1973, sont en baisse constante, passant de 11,1 milliards en 1973 à seulement 9,4 milliards en 1996, mais se stabilisant avec les derniers chiffres de 2004.

[19] Avec un bébé né à Sarajevo.

[20] Plusieurs bébés sont présentés pour revendiquer l’honneur d’être le 7/milliardième terrien, un qui serait né à Manille, Philippines (Danica May Camacho), un autre à Mall dans l'Etat indien de l'Uttar Pradesh, un autre (Alexandre) au Kamtchatka, un autre à Kaliningrad (Piotr Nikolaev) et une petite fille à Lima (Yesura Tarmeno Vega).

[21] « Le risque de surpopulation mondial reste réel ». Le Monde du 15/02/2011.

[23] Dumont, G.-F. 2004. Les populations du monde. Paris, Colin.

[24] Johansen et Sornette. 2001. Finite-time singularity in the dynamics of the world population, economic and financial indices. Physica A, 294 : 465–502.

 

[25] Sauvy, A. 1956. Théorie générale de la population. Paris, P.U.F.

 

[26] Godet, M. 2003. Le choc de 2006, démographie, croissance, emploi. Paris, O. Jacob.

 

[27] A ne pas confondre la xénophobie, la peur des autres, avec le racisme qui exprime la déconsidération des autres considérés comme des êtres inférieurs.

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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 17:16

 


  JEAN CHALINE 


 

Réflexions d’un scientifique


sur l’évolution


démographique


et socio-économique


de notre société


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Essai

 

 

 

mis en lecture libre sur over-blog.com pour information,  mais sous copyright de

Jean Chaline © donc non destiné à la reproduction et à la vente en livre…

 

 



 

 

  Chap. 1

 

De la pluridisciplinarité à « Mesdames et

 

messieurs attendez-vous à ce que… »

 

Ce livre va traiter de géosciences, de démographie, mais aussi d’économie et de finances. Autant de sujets qui semblent n’avoir aucun rapport entre eux, et pourtant il y en a… C’est ce que  nous allons voir…

 

Pourquoi ce livre sur des sujets aussi pluridisciplinaires ?

 

Je suis un scientifique, spécialiste des géosciences, plus spécifiquement de paléontologie[1], et c’est dans cette dernière branche que j’ai effectué la majeure partie de mes recherches. J’ai analysé en détail de nombreux exemples d’évolution des rongeurs[2] et des hominidés[3] afin d’avoir une vue plus claire de la théorie de l’évolution[4]. En tant que paléontologue, je me suis rapidement aperçu de ce que la recherche impliquait une nécessité d’élargir constamment le champ de ses recherches ; c’est la pluridisciplinarité. Ayant déjà une certaine formation biologique de base, l’étude des rongeurs fossiles m’a imposé, pour la comprendre, d’y intégrer la biologie, la génétique et surtout le développement embryologique où se cachent les mécanismes de base de l’évolution[5]. Il m’a aussi fallu aussi intégrer l’écologie, la paléobiogéographie, la paléoclimatologie[6] et le comportement[7] de ces animaux, pour comprendre la présence en France jusque dans les Pyrénées, de rongeurs campagnols[8] provenant des steppes sibériennes et des lemmings venant de Scandinavie ; des migrations à plus de 5.000 km de leur zone de vie actuelle, lors de chacune des phases de glaciations de l’ère Quaternaire.

Une nouvelle extension de mes recherches pluridisciplinaires s’est produite en 1990, avec le travail en commun réalisé avec Jacques Dubois, géophysicien, professeur à l’Institut de Physique du Globe de Paris. Nous avons montré, en utilisant une comparaison entre la chronologie des apparitions et des disparitions d’espèces avec une structure fractale[9], la poussière de Cantor (qui sera présentée au chapitre 4), que les apparitions et les extinctions des espèces de campagnols ne se faisaient pas complètement au hasard, mais suivaient des lois de répartitions fractales[10]. C’était nouveau et surprenant, on peut même dire assez révolutionnaire ! On parlait alors d’attracteurs étranges. Selon David Ruelle, l’attracteur est une région de l’espace vers laquelle un système chaotique évolue de façon irréversible en formant des figures totalement inhabituelles, des objets géométriques vraiment très bizarres. Il s’agit d’une découverte du météorologue Edward N. Lorenz, en 1963 au Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui sera formalisée seulement dans la décennie suivante par David Ruelle[11] et Floris Takens[12] qui, les premiers, ont publié en 1971 le terme d’attracteur étrange[13]. Tout le monde a entendu parler de l’effet papillon[14] qui exprime cette image.

La pluridisciplinarité de mes recherches s’est encore étendue lors d’un séminaire sur l’Evolution des systèmes organisé le 13 janvier 1995 par le sociologue et économiste Pierre Grou, professeur à l’université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines. À ce colloque participait notamment l’astrophysicien Laurent Nottale, directeur de recherche au CNRS à l’Observatoire de Meudon. Il était l’auteur depuis 1982, d’une nouvelle théorie de la relativité d’échelle[15] qui intégrait en les harmonisant, les données de Galilée, Newton, Einstein et même la mécanique quantique ; ce qui paraît impossible à certains de ses collègues, mais est désormais prouvé[16] par de multiples observations astronomiques ; une véritable révolution conceptuelle, une avancée scientifique de premier plan.

Lors de cette rencontre nous avons constaté que les systèmes des sciences de l’univers, de la vie et des sociétés présentaient des caractéristiques communes. Ils évoluent. Ils sont sujets à des ruptures. Ils sont hiérarchisés, c’est-à-dire qu’ils sont structurés en niveaux et sous niveaux d’organisation. On constate encore des phénomènes d’accélération vers les points de ruptures ou de crises, les temps critiques, ou de décélération à partir de ces points. En outre, il y existe une possibilité de prédictibilité à caractère indéterministe, c’est-à-dire de prévoir l’existence de structures[17]. Toutes ces convergences suggéraient aussi qu’elles obéissaient vraisemblablement à des lois communes à découvrir !

La même année, Didier Sornette, alors directeur de recherche au CNRS à Nice et Charles G. Sammis dans un travail très novateur de 1995[18], montraient de façon empirique que le phénomène sismique superficiel, puis en 1996, que les variations de l’indice S. & P. 500de la Bourse de New-York[19] suivaient une même loi très particulière d’accélération[20] que nous expliciterons au chapitre 4.

En juin 1995, j’avais proposé à Nottale de rechercher si la chronologie de l’apparition des plans d’organisation des primates ne pouvait pas être liée à un ‘attracteur étrange’ particulier, ou suivre une loi fractale connue. La note de Sornette et Sammis suggéra alors à Nottale de traiter l’arbre de la vie comme les autres arbres végétaux structurés de manière fractale, mais dans le temps au lieu de l’espace. Le résultat a été étonnant. Nous avons pu alors montrer, en 1999 dans une note fondatrice à l’Académie des Sciences de Paris[21], que la chronologie des événements évolutifs majeurs de groupes d’animaux fossiles aussi variés que les dinosaures, les rongeurs, les primates, les chevaux d’Amérique du Nord, les oursins et l’histoire globale de la vie suivait les mêmes lois particulières que les phénomènes sismiques superficiels et les cours de la bourse de New York, déjà évoqués. Surprenant ! L’arbre de la vie était donc bien fractal et ce travail confirmait le résultat de notre travail précurseur de 1992 sur les campagnols eurasiatiques. Cette structuration fractale de l’arbre de la vie a d’ailleurs été confirmée très rapidement par de nombreux travaux de scientifiques anglo-saxons[22]. Mais ce résultat était si surprenant, si étonnant même que de nombreux collègues français l’ont rejeté d’emblée, malgré des données scientifiquement discutées pour éliminer tous les biais possibles, et établis. C’était vraiment trop osé pour l’époque ! Pourquoi ? Parce que ce résultat semblait remettre en cause l’un des fondements de la théorie de l’évolution des espèces, celui de l’évolution se faisant totalement au hasard des mutations et de la contingence de la vie. Précisons tout de suite que ce rejet était, scientifiquement, injustifié. Pourquoi ? Parce que structuration fractale et prédictivité ne veulent pas dire forcément rejet du hasard, puisqu’il existe des lois du hasard et que la relation structurelle demeure de nature statistique. En fait il s’agit exclusivement de lois probabilistes, des lois du hasard, ce que beaucoup ignoraient…

Une analyse complémentaire de Nottale en 2000 est venue confirmer les résultats obtenus par Sornette, Johansen et Bouchaud sur la bourse de New York en traitant les grandes crises économiques d’Occident, à grande échelle, depuis 10.000 ans à partir d’un travail synthétisé en 1987 par Pierre Grou[23]. Il montra que leur chronologie suivait également cette même loi[24] (voir le chapitre 6). C’était encore plus étonnant !

Nous avons alors suggéré l’existence possible d’une structure mathématique fractale pour les arbres évolutifs qui semblait s’appliquer à une partie au moins de l’arbre de la vie lui-même. Il lui correspond une loi d’accélération temporelle[25] qui décrit également la chronologie de l’évolution économique depuis le Néolithique ! C’est surprenant, mais n’en déplaise aux sceptiques, c’est ainsi !

Il est alors évident pour nous, après plus de 15 ans de recherches concertées, qu’une loi de structuration fractale est à l’œuvre dans des phénomènes aussi différents que les tremblements de terre superficiels, l’évolution des espèces, la démographie et les crises économiques, que seule une recherche pluridisciplinaire avait pu montrer[26]. Car nos recherches, si elles avaient été cloisonnées disciplines par disciplines, n’auraient jamais pu démontrer une telle universalité d’application de cette loi.

Ce livre est une illustration simple, pour un public le plus vaste possible, de ces lois communes qui gèrent les phénomènes conditionnant notre vie de tous les jours. Ce sont des phénomènes que nous ignorons, mais que nous subissons, des phénomènes critiques, voire très critiques comme nous allons le voir…

C’est également cette approche pluridisciplinaire qui permet au paléontologue que je suis, d’évoquer sous le contrôle d’un théoricien de la physique et d’un économiste, des phénomènes aussi particuliers que les tremblements de terre superficiels, l’évolution des espèces (mon domaine de recherche) et les fluctuations de certains paramètres économiques… Sans leur contrôle, je n’aurais jamais tenté cet essai de synthèse. Ces modestes réflexions ne sont donc pas celles d’un économiste du dimanche, mais le résultat d’un travail d’équipe pluridisciplinaire…

 

« Mesdames et messieurs attendez-vous à ce que… », « Attendez-vous à savoir… »

 

Ces phrases, je les ai souvent entendues dans ma jeunesse, le dimanche vers midi, dans une chronique radiophonique intitulée « Les dernières nouvelles de demain » animée par Madame Geneviève Tabouis, sur Radio Luxembourg, entre 1957 et 1981. Sa façon de présenter les développements futurs de la politique européenne et mondiale, à partir des données historiques et actuelles de l’époque, enrichie de son expérience personnelle auprès de la diplomatie, était assez fascinante… Elle initiait le grand public à la politique, au fonctionnement de la diplomatie, en soulignant aussi, pour la première fois, la manipulation des gens par les médias autorisés de la propagande. En effet, les médias propagent également des idées fausses en matière d’économie, de climat, d’environnement, de séismes et d’énergie nucléaire…

J’ai pris sa phrase fétiche « Attendez-vous à ce que… dans plusieurs titres des principaux paragraphes de cet essai, parce qu’elle correspond tout à fait à mon état d’esprit fin juillet 2011, au moment d’écrire ce livre, qui va traiter des « Nouvelles de demain, celles du XXIe siècle » dans plusieurs domaines clés qui vont déterminer notre avenir.

Quels sont ces domaines si importants pour nous, pour l’humanité ?

 

Les sujets de ce livre

 

« Ouvrir une fenêtre, cela fait des courants d’air », disait le linguiste[27] Georges Dumézil, alors, ouvrons toutes grandes les fenêtres du XXIe siècle, celles d’un Renouveau de l’Esprit des Lumières ; c’est l’objet de ce livre.

Parmi les problèmes cruciaux et même très critiques pour l’humanité, nous examinerons essentiellement l’évolution démographique et socio-économique de notre société. Il y en aurait d’autres, comme le changement climatiqueque nous évoquerons sans le traiter, car à lui seul il nécessiterait plusieurs livres, ce qui est déjà fait…

Mais nous y ajouterons un plus, celui des résultats de l’approche scientifique nouvelle que je viens d’évoquer et qui permet d’envisager ces problèmes sous un autre jour ; celle que l’on appelle aujourd’hui les phénomènes critiques, ou qui en présentent les caractéristiques. Nous verrons qu’ils sont très fréquents et assez universels puisqu’ils concernent les sciences de la terre(paléontologie) et de la vie (histoire de la vie, de l’homme et de son développement individuel) et même la finance et l’économie. Cette approche pluridisciplinaire en émergence permet de porter un regard scientifique et critique sur ces problèmes, à la façon dont on examine le passé récent pour mieux comprendre l’avenir ; une démarche de paléontologue. « Gouverner, c’est prédire » disait avec perspicacité Machiavel. Mais, pour prédire, il faut aussi connaître et analyser le passé avec des méthodes adaptées.

Les multiples interdépendances et interactionsentre ces phénomènes conditionnent concrètement notre vie actuelle et future. Ils méritent donc toute notre attention dans un monde agité qui ne semble pas avoir toujours conscience des conséquences à court ou long terme de ces phénomènes majeurs dont dépend notre survie. Nous verrons comment ces phénomènes sont entrés dans des  phases critiques  dont les conséquences commencent à se faire sentir et ce qu’ils pourraient engendrer dans l’avenir… L’humanité, en s’accroissant de façon exponentielle pose de plus en plus de problèmes de gestion à résoudre. L’ « après nous, le déluge » attribué à Louis XV ou à la Pompadour[28], et le « tout pour nous-mêmes et rien pour les autres » vilipendé par Adam Smith[29], apparaissent comme les nouvelles maximes aujourd’hui privilégiées par de nombreux responsables financiers, économistes et politiques au sein des diverses instances locales, nationales et internationales. Cette oligarchie bénéficiant d’un très haut niveau de richesse paraît plus préoccupée de profiter personnellement et égoïstement du « système inique[30] supercapitaliste[31] » qu’ils ont mis en place depuis les années 1970, que de se soucier du sort du reste de l’humanité. Pourquoi cette nouvelle attitude individualiste ? Peut-être l’intuition que le système arrive à ses limites et qu’il faut en profiter avant d’entrer dans le mur ? L’économie financière actuelle a tant fait croître les inégalités d’une façon exponentielle qu’elles ne peuvent subsister longtemps sans avoir de conséquences plus ou moins graves suivant les pays, surtout à notre époque où l’information circule désormais à la vitesse d’Internet à l’échelle planétaire. Elles conduisent inévitablement à des frustrations, puis à des contestations, puis à des révoltes, avant de devenir des révolutions. C’est là que s’applique l’expression « Attendez-vous à ce que… ! ».

On commence à en voir les effets concrets avec les révoltes de la misère, de la faim et de la liberté d’expression dans les pays pauvres et même développés, ou encore avec les rejets de dictatures politico-financières se traduisant par des manifestations réprimées dans le sang en Tunisie, Egypte, Libye, Yémen, Bahreïn, Syrie et en Iran. Des turbulences d’indignés se produisent même en Chine et aussi dans des pays démocratiques occidentaux, les USA, la Grande-Bretagne, la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Espagne, etc…. Ce sont les premiers « dominos » de révoltes régionales et déjà nationales qui risquent de s’étendre et de se durcir…

L’humanité foncerait-elle dans le mur ? Tout semble le confirmer ! Comme le disait avec humour Sully Prudhomme : « Nous sommes au bord du gouffre, avançons donc avec résolution ». L’objectif de ce livre est de tirer, comme beaucoup d’autres l’ont déjà fait[32], la sonnette d’alarme avant qu’il ne soit trop tard. Car les spécialistes savent très bien ce qu’il faut faire, connaissent les solutions à adopter pour faire évoluer le système dans le bon sens ; celui qui a mené aux Trente glorieuses des années 1950 à 1980. Mais le lobbying de choc des gestionnaires en place et l’absence actuelle de volonté et l’aveuglement politique bloquent actuellement la mise en œuvre des solutions nécessaires, pourtant indispensables… Nous approchons du mur à grande vitesse. Attention danger ! comme l’évoque la couverture de ce livre ! Attendez-vous à ce que ! Si rien n’est fait… À moins que ?

Ce livre est donc le regard critique d’un scientifique paléontologue avec de nouvelles méthodes d’analyse, un essai de synthèse des réflexions actuelles des scientifiques et des spécialistes en démographie et en économie sur les phénomènes de société en jeu que nous allons examiner tout de suite… Commençons tout d’abord par comprendre ce que sont les phénomènes critiques.

 

Remerciements

 

Au terme de ce livre, il m’est agréable de remercier tous ceux qui ont contribué à sa se au point. En premier, je remercie Pierre Grou à qui revient le mérite de m’avoir ouvert la fenêtre de l’économie, depuis nos travaux en commun avec Laurent Nottale sur les applications de la théorie de la relativité d’échelle[33]qui forme la trame scientifique de cet essai, une théorie qui pourrait devenir le grand paradigme de la physique du XXIe siècle[34]… Pierre a tenu à participer à cet essai en m’offrant plusieurs encadrés économiques spécialisés pour illustrer mon propos. Inutile de dire l’importance de son concours pour notre démarche commune de lutte contre les obscurantismes, qu’ils soient religieux ou ceux, plus subtils de l’argent.

Je remercie également très sincèrement mon ami Jacques Lang pour les discussions critiques suscitant la réflexion.

Je tiens à remercier chaleureusement mon collègue Ivan Brissaud qui m’a suggéré de nombreuses retouches de forme et de fond. Je ne ménagerai pas ma reconnaissance à tous ceux qui, non cités ici, m’ont toujours judicieusement conseillé et corrigé.

Enfin, je tiens à remercier mon éditeur…………      qui s’est engagé dans la voie difficile de faire connaître à un vaste public un certain nombre de données qui échappent à ce dernier la plupart du temps, alors qu’elles déterminent son avenir…

Sans la complaisance et le soutien efficaces de toutes ces personnes, de tous ces amis, ce livre n’aurait eu, ni sa forme actuelle, ni son intérêt et n’aurait pas été publié. Merci à tous…

 

Jean Chaline

Dijon-Paris, février 2012

 


 

 

« Bizarre ? Vous avez dit ‘bizarre’,

 comme c’est bizarre… »

Louis Jouvet et Michel Simon dans

« Drôle de drame » de Marcel carné (1937)

Dialogue de Jacques Prévert

 

Chap. 2

 

Attendez-vous à savoir que les phénomènes

 

critiques sont très fréquents dans la nature…

 

Notre vie est en grande partie conditionnée par des phénomènes que l’on appelle des phénomènes critiques, ou d’autres, qui en possèdent les caractéristiques. Les phénomènes critiques sont des notions scientifiques peu connues du public parce qu’ils relèvent normalement de la physique et sont très complexes. De quoi s’agit-il ?

 

Les chevaux du lac Ladoga

 

En fait, tout le monde connaît des phénomènes critiques sans leur donner leur nom, car on en observe les conséquences tous les jours autour de nous… Prenez de l’eau. Observez son comportement avec les changements de température. Si la température baisse en dessous de zéro degré Celsius, elle se prend en glace. Au-dessus de zéro degré, elle est liquide et au-dessus de 100°, elle se met à bouillir et à se transformer en vapeur. Le passage de la glace à l’eau liquide et ensuite à l’état de vapeur se réalise à des « températures dites critiques », respectivement de zéro et de cent degrés. Or, autour des températures critiques, apparaissent dans la nature des phénomènes très curieux.

Analysons un exemple spectaculaire, celui de la surfusion. C’est celui qui a concerné les chevaux du lac Ladoga (Russie, Carélie) raconté par Curzio Malaparte[35] et repris par Alain Peyrefitte[36] et Hubert Reeves[37]. En 1942, lors du siège de Leningrad par les Allemands, à la suite d’un bombardement qui a mis le feu à la forêt de Raikkola, un millier de chevaux de l’artillerie soviétique encerclés par le feu et terrorisés se sont précipités vers la rive du lac et, ceux qui l’ont atteint, s’y sont jetés. Tandis qu’ils nageaient la tête tendue hors de l’eau, il s’est produit un grand fracas. Le lac s’était pris brutalement en glace, figeant les chevaux en plein mouvement, les têtes dépassant du lac gelé. Un spectacle hallucinant lorsque, le lendemain matin, le soleil a illuminé les crinières de centaines de chevaux semblant posées sur une surface de marbre blanc ! Comment cela a-t-il pu se produire ?

Il s’agit du phénomène bien connu de surfusion. Lorsque la température baisse très rapidement, elle peut atteindre le zéro Celsius avant la transformation de l’eau en glace. Autrement dit, l’eau reste liquide en dessous de son point théorique de congélation. Il suffit alors d’un apport de matière (arrivée des chevaux couverts de poils) et de mouvement (énergie), pour enclencher un changement de phase, la solidification, la prise en bloc immédiate de tout le lac.

 

Qu’est-ce qu’un phénomène critique ?  

 

Les phénomènes critiques ont des comportements qui changent de manière très spectaculaire en fonction de la modification imperceptible d’un paramètre. Or, les paramètres des phénomènes critiques, sont par exemple, la température comme au lac Ladoga, mais peuvent être également la pression ou la densité. Ils se manifestent dans ce que l’on appelle des transitions de phase, comme les passages de l’eau de l’état solide à sa phase liquide, puis à l’état de gaz, correspondant respectivement au gel, à l’ébullition et à la vaporisation.

On en trouve aujourd’hui de nombreux exemples dans des phénomènes très distincts qui, à première vue, n’ont aucun rapport entre eux. Citons la percolation des liquides dans les roches, les propagations des épidémies, le parcours de la foudre, la fracturation des roches soumises à des cassures lors des tremblements de terre, les phénomènes de turbulences des gaz et ceux qui affectent la matière condensée (ferromagnétisme, supraconductivité, etc.) et bien d’autres encore… Cette diversité signifie qu’ils présentent des structures analogues et suivent des lois communes.

Les phénomènes critiques, ou se comportant comme tels, concernent aussi de nombreux processus naturels (phénomènes géologiques et biologiques comme l’évolution des espèces, etc.), mais aussi les variations d’indices économiques ou la démographie, domaines où le paramètre fondamental n’est plus la température, mais le temps. Cette extension au temps est nouvelle et prometteuse pour la recherche. Mais il faut tenir compte des échelles de temps qui ne sont pas les mêmes au Mésozoïque (186 millions d’années), au Quaternaire (3 millions d’années), lors des 10.000 dernières années, voire les 2.000 ans ou des 50 dernières années… La notion d’échellespatiale et temporelle est essentielle et nous y reviendrons.

La description théorique des phénomènes critiques est fondée sur des principes fondamentaux de la physique comme les théories d’échelle (qui ne sont pas les mêmes que celles des géologues) et le groupe de renormalisation[38] et, plus particulièrement encore, la théorie de la relativité d’échelle de Laurent Nottale, théories qui ont été décrites par ailleurs[39].

Les phénomènes critiques font partie d’une nouvelle discipline que l’on appelle la dynamique non linéaire dont les définitions et les méthodes très particulières doivent être au moins sommairement évoquées.

 

Deux notions importantes : linéaire et non linéaire

 

Une tendance linéaire présente l’aspect continu d’une ligne droite, courbe ou brisée. Elle résulte d’une situation de proportionnalité entre deux variables et correspond généralement à une augmentation ou à une diminution régulière. C‘est par exemple, le poids d’une éponge qui s’accroît proportionnellement à la quantité d’eau qu’elle absorbe. On constate que le poids de l’éponge a doublé lorsqu’elle a absorbé deux fois plus de gouttes d’eau, et qu’elle a triplé, lorsqu’elle en a retenu trois fois plus… La relation entre le poids de l’organisme et celui de l’eau absorbée est linéaire. Les courbes linéaires peuvent prendre diverses formes (Fig. 1).

La dynamique non linéaire a été identifiée en premier par le physicien français Jules Henri Poincaré (1854-1912). Ce dernier écrivait : « il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales (d’un système) en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit ».

 

 

Fig . 1. Quelques exemples de courbes linéaires des relations entre deux paramètres.

 

Que signifie cette observation ? Prenons un exemple banal, celui d’une boule de billard. Si l’on essaye de lancer une boule plusieurs fois au même emplacement et de la même façon, on n’arrivera jamais à le faire et la trajectoire de la boule subira des écarts généralement très amples par rapport aux différences invisibles des conditions du lancement. Pourquoi ? Parce que l’on n’a pas pu placer la boule exactement au même emplacement, peut être à quelques molécules, ou atomes près, de distance, ni lui communiquer exactement la même force. C’est le cas, déjà évoqué, du très célèbre effet papillon[40] d’Edward Lorenz. C’est ce que David Ruelle[41] a appelé « la sensibilité aux conditions initiales ». Autrement dit, des modifications infimes dans les conditions initiales d’un paramètre peuvent avoir des conséquences amplifiées de façon exponentielle, c’est-à-dire qui augmentent de façon continue très rapide en s’amplifiant selon une loi des grands nombres. C’était le début d’une nouvelle discipline, la dynamique non linéaire[42]. Expliquons tout de suite tous ces termes.

Par opposition au linéaire, la dynamique non linéaire montre que ces systèmes sont soumis à des ruptures brusques, passant d’un état stable à un état instable chaotique. Ces systèmes hautement instables présentent des indices précurseurs avant qu’il ne saute, tout d’un coup, d’un état à un autre, comme l’eau de l’état solide à l’état liquide. Ces systèmes non linéaires présentent une autre caractéristique intéressante, celle d’avoir des points critiques, celui du changement d’état dépendant de paramètres différents. À leurs niveaux apparaissent des phénomènes physiques étonnants, parfois des modifications des propriétés de la matière totalement inattendues.

Graphiquement les phénomènes critiques apparaissent généralement sur des courbes bizarres en zigzag ou en dents-de-scie, comme celle de l’évolution de l’indice boursier du CAC 40 (Fig.2).

 

Fig. 2. Evolution du CAC 40 depuis sa création le 31/12/1987. Les fluctuations des distributions peuvent atteindre de grandes amplitudes avec les ruptures brusques. Les plus fortes expriment des krachs boursiers.

 

Il nous faut donc retenir que les phénomènes critiques sont très abondants dans la nature. De ce fait ils présentent un certain caractère d’universalité relevant de la dynamique non linéaireavec leurs variations brutales. En particulier, comme nous allons le voir au chapitre suivant, ils suivent des lois physiques communes, des lois d’échelle particulières, mais non linéaires. C’est ce que nous allons voir rapidement avant d’aborder les applications de ces lois aux phénomènes qui nous intéressent plus directement.

 



 

« Nous vivons dans un Univers de probabilités »

Karl Popper

 

« Les prévisions sont difficiles,

surtout lorsqu’elles concernent l’avenir »

Jacques Chirac

( Figaro Magazine, février 1993)

 

   

Chap. 3

 

Attendez-vous à savoir que les phénomènes

 

critiques expriment une structure cachée et


suivent une loi universelle !

   

Avant d’aborder les analyses des phénomènes critiques qui nous intéressent directement ici, nous devons faire un petit détour pour bien comprendre les lois qui les contrôlent.

Une révolution scientifique : la découverte de la fractalité dans l’espace et le temps

 

Vous allez découvrir que notre monde présente des structures qu’il faut savoir déchiffrer, ce sont notamment celles que l’on appelle les structures fractales[43]. Expliquons tout d’abord ce terme fractal. Créé par le Français Benoît Mandelbrot[44] en 1967, le terme fractal est fondé sur l’adjectif latin “ fractus ”, tiré du verbe “ frangere ” qui signifie “ briser ” ou “présenter une irrégularité ”, “ fragmenter à toutes les échelles ”, “ fractionner à l’infini ”. On dit qu’un objet possède une “ structure fractale ”s’il présente des structures, des irrégularités aux diverses échelles où on l’observe, comme Mandelbrot l’a montré en étudiant la longueur de côte de Bretagne. Si l’objet reste identique dans sa forme aux divers niveaux d’observation, on dit que la forme fractale est auto-similaire. La notion d’échelle est en effet une notion majeure de la dynamique non linéaire que nous avons déjà évoquée au chapitre précédent.

Nottale[45] a montré que les structures fractales caractérisent les très petites échelles (particules, atomes, molécules) et les très grandes structures de l’Univers (galaxies, structure globale de l’Univers), alors qu’à notre échelle intermédiaire, elles sont moins prééminentes[46]. En fait, tout le monde connaît les structures fractales. C’est l’exemple du chou-fleur Romanesco présenté sur la figure 3, qui se présente comme constitué de cônes disposés selon deux spirales. Ces spirales opposées, qui partent de la pointe du chou-fleur, sont constituées de cônes de plus en plus grands à mesure que l’on s’éloigne de cette pointe. Chaque cône des spirales est lui-même constitué de deux spirales de cônes qui deviennent de plus en plus grands, en partant de la pointe du cône, et ainsi de suite.

Il en va de même des bifurcations de nos bronches qui se ramifient dans un même rapport d’échelle selon 16 dichotomies successives en 60.000 bronchioles qui aboutissent aux 60.000 petites poches, les sacs alvéolaires contenant les alvéoles[47]. Pour irriguer ces sacs alvéolaires, les systèmes veineux et artériels des poumons présentent un nombre encore


  

   Fig. 3. Le chou-fleur Romanesco, une structure fractale autosimilaire. Ce chou-fleur présente une structure fractale auto-similaire typique, puisque le même motif s’observe aux trois échelles de structure observables. On observe à partir du sommet, une double spirale primaire (opposée) de cônes de plus en plus gros, au fur et à mesure que l’on s’éloigne du sommet. Ces cônes sont eux-mêmes, constitués de cônes secondaires, disposés en spirale, depuis les plus petits jusqu’aux plus grands. Ces derniers cônes présentent la même structure en cônes tertiaires. On distingue donc un motif identique à trois échelles successives d’observation (cliché F. Gasquez, Trans’tyfipal, UMR CNRS Biogeosciences 5561, Dijon).

 

plus grand de dichotomies, 23 dichotomies successives qui aboutissent aux 8 millions d’artérioles terminales qui apportent l’oxygène et aux 8 millions de veinules qui ramènent le gaz carbonique qui sera expulsé. Savez-vous que si l’on dépliait nos poumons, ils couvriraient la surface d’un cours de tennis ? La raison en est simple, les structures fractales ont l’avantage en raison des divisions successives de plus en plus petites des bronches, d’augmenter les surfaces d’échanges entre le sang et l’air. On pourrait y ajouter les feuilles de fougères, les arbres, de nombreuses fleurs, etc. Les spécialistes ont montré que la structure fractale était la géométrie véritable, mais cachée, de la nature[48]. Nous verrons que l’étude des phénomènes critiques en 1975 a montré qu’ils suivaient des lois fractales.

 

Une loi d’échelle probabiliste commune

 

Un résultat essentiel de l'étude des phénomènes critiques[49] est un comportement très particulier autour du point critique. Ces lois sont caractérisées graphiquement par des courbes en dent-de-scie, simples, avec des événements précurseurs se succédant de façon accélérée vers un pic de probabilité constituant l’époquecritique de la loi avec des répliques réparties de façon décélérée sur l’autre versant à partir du point critique (Fig. 4). On leur a donné le nom peu convivial de loi log-périodique[50], parce que c’est une loi qui montre une périodicité dans les changements d’échelle (en coordonnées logarithmiques), comme lorsque l’on fait un zoom continu de 2, 4, 8, 16, 32…

 

 

Fig. 4. Loi log-périodique. Une loi log-périodique comporte des événements précurseurs répartis de façon accélérée vers un pic de probabilité constituant l’époquecritique de la loi ou des répliques réparties de façon décélérée sur l’autre versant à partir du point critique (modifié d’après Sornette, 1998).

 

Que décrit cette loi ? Il s’agit d’une loi d’échelle probabiliste quasi-universelle[51] de la survenue possible, probable, mais non certaine, d’événements particuliers correspondant au phénomène étudié. C’est une loi du hasard probabiliste[52]. Mais elle permet de faire des prédictions probabilistes, en évaluant statistiquement la suite des probabilités d’événements précurseurs futurs lors des accélérations avant d’arriver au temps critique. Elles permettent aussi de faire des rétroprédictions probabilistes lors des décélérations événementielles qui se développent après le temps critique (Fig. 4) et qui correspondent aux faits observés.

Sornette a montré en 1998 que ces lois sont amenées à jouer un rôle potentiellement important dans de nombreux domaines qui ne se réduisent pas à la seule physique, ce qui peut paraître surprenant à de nombreux non-spécialistes. Notre intérêt pour elles vient du fait qu’elles sont impliquées dans des phénomènes qui conditionnent notre vie, voire notre survie au XXIe siècle. Voyons en la première démonstration.

 

La première application des lois d’échelle en géoscience

 

C’est dans les années quatre-vingt que l’on a découvert que la dynamique non linéaire pouvait s’appliquer aux géosciences. Les géosciences sont un vaste domaine (éruptions volcaniques, aux tremblements de terre, fractures des roches) dans lequel s’appliquent des lois temporelles critiques[53]. La proposition d’appliquer ces méthodes et les lois d’échelle critiques qui s’en suivent, à la prédiction des tremblements de terre, a été faite en 1982 par Allègre, Le Mouel et Provost[54].Cela explique pourquoi, avant cette époque, on ne pouvait pas trouver de lois d’évolution des systèmes, parce que l‘on utilisait des lois linéaires parfaitement inadaptées à l’analyse de ces phénomènes ! Alors que les équations non linéaires permettent de décrire ces systèmes aux évolutions beaucoup plus imprévisibles, et très probabilistes.

Nous allons examiner rapidement l’exemple fondateur qui a permis d’établir la validité de l’utilisation des lois d’échelle en sciences géologiques ce qui paraissait totalement inimaginable à l’époque.

Parmi les sciences géologiques, nous limiterons notre présentation à l’analyse précise du tremblement de terre superficiel de Kobé.

 

Le tremblement de terre de Kobé. C’est en 1995 que Sornette et Sammis[55] ont appliqué pour la première fois, d’une façon empirique, les nouvelles méthodes[56] à l’analyse des données en sciences géologiques et ont montré que la prédictibilité en était fortement améliorée. Ces modèles ont été appliqués à des grandeurs mesurées. L’un des exemples les plus démonstratifs est celui des émissions d’ions chlore de la région de Kobé au Japon. Des capteurs avaient été installés dans des puits assez profonds dans le but d’analyser les relations entre cette production et les secousses sismiques dans l’espoir de pouvoir prévoir un tremblement de terre local. Ces chercheurs ont montré que cette émission se réalisait selon trois pics d’ions chlore suivant une loi log-périodique accélérée (Fig. 5). Or, connaissant les dates de ces pics, on peut calculer les dates suivantes et surtout le temps critique du phénomène. C’est-à-dire que si l’on avait su à l’époque la signification de ces émissions accélérées, on aurait pu prévoir le tremblement de terre environ 48 h à l’avance ! Cette méthode de prédiction est désormais utilisable localement pour les tremblements de terre superficiels à Kobé seulement, où se manifestent des émanations de chlore, mais elle n’est pas applicable pour tous les tremblements de terre qui se préparent ailleurs dans le monde. En effet le tremblement de terre de Kobé a eu son épicentre à seulement 13 km de profondeur, ce qui explique pourquoi il aurait pu être prévu. Cette méthode n’est sans doute pas applicable aux séismes dont l’épicentre est profondément à plus de 100 km, où interviennent des phénomènes géophysiques complexes avec une discontinuité dans la vitesse sismique, la ligne de Gutenberg, marquant la limite entre le manteau et le noyau, à 2.900 km de profondeur.


Fig. 5. Les variations des émissions des ions chlore dans les captages de Kobé (Japon) se répartissent selon une répartition log-périodique d’accélération évidente. Si l’on avait su la signification précise de ces émissions, on aurait pu prévoir le tremblement de terre environ 48 h avant le temps critique du phénomène (d’après Sornette et Sammis, 1995).

   

Signalons que Laurent Nottale a appliqué une approche non linéaire au récent tremblement de terre du Sichuan en Chine et aux tremblements de terre de Californie du Sud[57]. Dans le même travail, il a montré que la fonte de la calotte glaciaire arctique suivait également des lois non linéaires et fait des prévisions vérifiées[58].

 

Retenons de ce chapitre que la géométrie de la nature est essentiellement fractale, brisée, rugueuse, aux très petites et aux très grandes et échelles. Retenons encore l’existence les lois d’échelle probabiliste dans l’étude des phénomènes à comportement critique non seulement dans le domaine spatial classique, mais aussi dans le domaine temporel[59]. C’est-à-dire que ces lois permettent d’effectuer des prédictions, mais uniquement probabilistes. Retenons enfin que la chronologie de ces événements dans un tel cadre descriptif, en termes de pics et de creux de probabilité, n’est jamais certaine comme dans une situation totalement déterministe, mais simplement plus probable que d’autres… Autrement dit les prévisions indiquent des possibilités, jamais des certitudes. Nous avons constaté que les phénomènes sismiques superficiels suivaient bien ces lois non linéaires.

Mais comme l’a annoncé Sornette, ces lois joueront sans doute un rôle potentiellement important dans de nombreux domaines qui ne se réduisent pas à la seule physique. C’est ce que nous allons voir maintenant avec leurs applications à la paléontologie. L’arbre de la vie est-il fractal ? L’évolution du vivant suit-elles des lois du même type ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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7 janvier 2011 5 07 /01 /janvier /2011 10:21

Ce livre écrit par Jean Chaline en collaboration avec Cédric Grimoult, historien des sciences, Christian Nitschelm et Boris Dintrans pour l'astrophysique, a été préfacé par Christian Forster et Malek Chebel.

 

IMG 3981

 

Dieu contre Darwin ! Cette opposition, volontairement simplificatrice et provocatrice, n’a en fait guère de sens. Création et Évolution ne se situent pas sur un même plan de connaissance. D’un côté, les sciences universelles cherchent à décrire, dans un langage rigoureux, la mécanique des origines et de l’évolution de l’Univers, de la vie et de l’homme. De l’autre, philosophies et religions offrent des buts et un autre type de recherche, celui du sens de la vie de chacun. Nous montrons que les Ecritures ne sont pas des livres de science, mais exclusivement religieux.  La raison peut être l’alliée des deux camps. L’ouverture d’esprit aussi…

Encore un livre sur le créationnisme ? Pour la première fois, ce livre propose une analyse comparative détaillée de ce que disent les trois religions du Livre (Judaïsme, Christianisme, Islam) au sujet de la question des origines, mises en regard des traditions historiques et des connaissances scientifiques les plus actuelles. Les croyants peuvent considérer que la science décrit La mécanique choisie par le Créateur pour réaliser Sa Création ! Il ne peut donc être question de la rejeter…

Grâce à un chapitre de questions-réponses, il constitue aussi un guide pour comprendre rapidement et précisément la valeur des arguments en présence. Il donne aux enseignants des réponses aux questions posées par leurs élèves.

Ce livre très complet, qui prône le dialogue, permettra au lecteur de se faire une idée des enjeux scientifiques, religieux, politiques, philosophiques et historiques et de choisir sa voie, vers les Lumières ou l’Obscurantisme.

 

Ellipses, Paris, 2011.

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 18:21

Jean, Pierre, Paul CHALINE

Né le 18/02/37

à  Châlons-sur-Marne/Châlons-en-Champagne

 

Laboratoire des BIOGEOSCIENCES, Université de Bourgogne, 6, Bd. Gabriel, 21000 Dijon ;

e-mail : jean.chaline@orange.fr


I - Principales étapes de la carrière et affectations

 

- Ecoles primaires à Châlons sur Marne, puis à Orléans.

- - Etudes secondaires au Lycée de Fulpmes et Innsbruck (Autriche), puis au Lycée de garçons de Troyes.

- - Etudes universitaires à l'Université de Dijon (1956-60).

 

Statut au CNRS :


- Stagiaire de recherche (1961-1963) : affectation au laboratoire de Paléontologie de l’Université de Dijon,

- Service militaire actif (du 3/01/63 au 30/04/64) à Lons le Saunier puis à Autun.

- Attaché de recherche (1963-1972),

- Maître de recherche (1973-1982),

- Directeur de recherche, 1° Classe (1982-1989),

- Directeur de recherche, Classe exceptionnelle 1 (à compter du 1/10/1989),

- Directeur de recherche, Classe exceptionnelle 2 (à compter du 1/10/1995).

- Directeur de recherche émérite à compter du 19/02/2002.

 

Statut à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes :


- - Directeur de Laboratoire non appointé, à la 3° section depuis 1978,

- - Directeur d'Etudes cumulant à l'EPHE (à compter du 1/01/94),

- - Directeur d’Etudes honoraire à l’EPHE à compter du 19/02/2002.

 

Fonctions administratives :


- Direction du “Laboratoire de paléobiodiversité et préhistoire ” de l’EPHE de 1978 à 2002.

- Directeur de l’URA CNRS 157 “ Paléontologie analytique et Géologie sédimentaire ” de 1983 à 1995, devenue en 1995 UMR 5561 BIOGEOSCIENCES-DIJON,

- Vice-Président chargé de la Recherche à l’Université de Bourgogne (1994-1998).

- Membre à plusieurs reprises du Comité national du CNRS et du CNU et du Comité scientifique du CNRS et de plusieurs commissions de spécialistes.

 

Distinctions :


- Prix Verdaguer de l'Institut de France (1985)

- Chevalier des Palmes académiques (1991)

- Chevalier de la Légion d’Honneur (2005)

 

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  • : Description de la théorie de l'évolution des espèces et de l'homme, disparition des Néandertaliens. Applications des lois des phénomènes critiques à l'évolution des espèces, la démographie et l'économie.
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